Mis en avant

Un départ et des au-revoirs

Temps de lecture / Reading time: 7 minutes

J’écris ces lignes depuis Porto, presque un mois après mon départ. Jusque là tout va bien, une seule mésaventure au compteur, beaucoup de rencontres, et déjà de bons souvenirs. Ce n’est pas facile de trouver un rythme et je le cherche encore. Malgré mon carnet de route que je tiens à jour régulièrement, rédiger des textes prend du temps mais j’espère pouvoir les partager le plus souvent possible ! Voici un court résumé de ma semaine de départ, d’autres articles suivront prochainement.

Les jours précédents mon départ ont été intenses. Mon voyage était supposé commencer un mois plus tôt mais la commande du vélo a été passée un peu tard… Bref, de retour d’une bonne semaine de ski de rando dans les Pyrénées, je dois préparer mes sacoches en vue d’un départ illico. Et le grand jour sera le vendredi 22 mars. Un bel enchaînement raclette/rencontre de cyclo-voyageur/récupération du vélo sur Lyon rendra cette veille de départ assez agréable !
Le premier test de transport du vélo-couché dans le TER se révèle être un vrai succès (ces vélos sont normalement interdits). Comme prévu, rien n’est planifié pour les étapes des prochains jours, à part les premiers ravitaillements chez la famille !

Premier coup de pédale

C’est ainsi vendredi, après quelques photos devant la maison, vers 16h30 que nous partons avec ma mère et mon frère, direction Poliénas.


La météo, une des variables critiques lors des voyages à vélo, est caractéristique de cet hiver 2019 : grand ciel bleu ! Ma tante nous rejoint sur les quais et c’est le long de l’Isère que nous descendrons jusqu’à chez mon oncle. Les massifs de la Chartreuse et du Vercors nous escortent sur le chemin. Peu de cycliste sur cette “autoroute verte” réservée aux vélos, que nous empruntons tous pour la première fois. En prenant la sortie Poliénas nord, le Vercors nous offre ses plus belles couleurs de sa collection hiver et coucher de soleil. Après une petite côte bien raide, nous arrivons enfin acclamés par une foule hystérique (bon d’accord j’exagère peut être un peu ici). Une belle soirée de départ s’ensuit, et ses premiers adieux aussi.

Une longue étape chargée en émotions


Le lendemain, deux vaillants sportifs sont d’attaque pour m’accompagner, ma mère et mon oncle. Sous le soleil et les noyers, nous enfourchons nos montures direction saint Marcellin, d’où je continuerai seul vers le Drôme rejoindre de la famille pour midi. C’est la seconde vague d’au revoir. C’est bizarre car de mon côté je n’ai pas l’impression de partir, du moins pas de manière différente que lorsque je suis parti travailler en Allemagne. Alors que pour mes proches, l’inquiétude prend le dessus, et mon voyage leur semble sans retour, ou alors très lointain. Suis-je trop optimiste ? Ou bien naïf ? Je sais aussi que je vais revoir ma famille sur le trajet, ce qui se confirmera bien assez tôt !

Le GPS me fait longer le Vercors avec une superbe vue sur ses falaises en contrepartie il y a quelques montées qui font chauffer les jambes. L’impatience aidant, mes proches décident de partir à la chasse (en voiture) pour me retrouver et endosser le rôle de voiture balai. Je prendrai bien une petite pause à midi car j’ai déjà fait 80 km et un peu de dénivelé, mais le programme est déjà tout écrit : déjeuner, visite de la maison de retraite puis passage chez le tonton. Intense journée, mais il faut en profiter tant qu’on est en forme !

Après un court “show” au château, l’équipe de cycliste familiale veut continuer un peu plus loin, nous terminerons chez mon oncle 20 km plus loin. Soirée qui terminera sur des adieux une fois de plus. Aujourd’hui, j’aurai fait 100 bornes.

Seul en selle


Les prochains jours je pédalerai seul, et ce jusqu’à Toulouse. Le trace suit la Via Rhona au début puis le canal du midi. La première est assez bien indiquée, avec des voies réservées aux cyclistes la plupart du temps.
Peu de dénivelé, de jolis villages et de belles perspectives sur des châteaux. La vallée du Rhône c’est aussi des centrale nucléaire le long du fleuve, elles sont massives et se voient de loin.

Une fois Avignon dépassé, je cherche un endroit où dormir. Comme le terrain est peu approprié je demande à un couple si je peux monter la tente devant chez eux, ils me proposent plutôt de dormir dans leur cabane de jardin et m’offrent même une douche chaude, quel luxe !

Le lendemain, je traverse la Camargue, ses marais, et croise en chemin des chevaux et des flamands roses. De rares cyclotouristes empruntent aussi ce chemin. Après une bonne pause à Aigues Mortes en compagnie des boulistes du coin, je repars vers Frontignan. Le mistral forcit dans l’après midi pour le grand bonheur des kite-surfeurs mais au grand dam des cyclistes pédalant vers l’ouest. La tente a d’ailleurs failli partir cette nuit lors du montage !

Flamands roseuh
Plage blanche
Faute d’orthographe ?

Tricher et si vite sanctionné


Cette semaine étant la semaine des premières fois, je célèbre ce matin le premier petit déj’ “camping”. Le mistral n’a pas faibli, je pense qu’il souhaite m’accompagner jusqu’à Toulouse. Ma journée sera courte car j’ai prévu de prendre le train de Béziers. Mon voyage sans carbone commence bien… c’est pour respecter un rendez-vous dans les Pyrénées qui ne peut être repoussé. Une journée et demie de plus aurait été nécessaire pour arriver à temps.

À cause de déviations sur Sète qui m’envoie vers un axe principal, je fait un tour sur moi même au lieu de m’avancer vers Agde et perds une heure… la deuxième fois je trouve le bon chemin qui passe par la digue le long de plages désertes jusqu’à Marseillan. Le reste du trajet devient intéressant à partir d’Agde jusqu’à Béziers sur le canal du midi, une partie plutôt sauvage mais peu roulante.
Le mistral a quand même rendu cette étape de 70 km assez difficile !

J’arrive à la gare 20 minutes avant le départ de mon train et je ne vois pas d’ascenseur ni de “rail à vélo”. Il me faudra être efficace. Quelques clics sur la bornes me permettent d’acheter mon billet, mais l’automate m’informe qu’il faudra retirer le billet ailleurs car il n’en a plus. Estimant ne pas avoir le temps, je prend le reçu et commence à déplacer mon vélo. Une dame m’indique que le ticket que j’ai retiré n’est pas valide – je lui rétorque que je suis pressé et que le reçu fera l’affaire. Mais un doute m’envahit, déjà que l’emport de mon vélo n’est pas autorisé dans le train, c’est un peu risqué de monter “sans billet”. J’essaie donc de retirer mon billet. La réservation est liée à la carte bleue utilisée lors du paiement et il suffit de taper son code secret pour imprimer le billet. Cela ne me prend que quelques secondes et je suis plus serein pour prendre le train. Toutefois il me reste encore des va-et-vient jusqu’au quai avec tout mon barda et mon vélo. Enfin à quai, je vois le train arriver… mais c’est un TGV ! J’avais pourtant regardé la veille et je gardais en tête que cet horaire correspondait à un Intercité ou un TER (l’emport des vélos est assez facile en TER ou IC mais beaucoup moins aisé en TGV). La fatigue et le stress m’ont un peu anéanti sur le coup car je dois aller changer mon billet, donc soit laisser mon vélo à quai ou tout re-déplacer…

Je fais le choix de laisser le vélo à quai et pars négocier au guichet. Fort sympathique, l’agent SNCF m’échange mon ticket contre le prochain TER, avec une correspondance pour Narbonne. De retour à mon vélo, et bien content de mon “affaire”, je repose mon sac sur ce dernier et vais m’asseoir un peu plus loin. La dame m’apostropha au sujet de mon billet est à quai. Elle va aussi à Narbonne. Nous discuterons un peu et ce jusqu’à Narbonne.

À Narbonne re-belotte : il faut changer de quai et la gare est toujours aussi bien équipée pour les vélos ! Dans ce train, je réalise que des retraits et des achats ont été effectuées avec ma carte… mon portefeuille a disparu ! J’avais laissé mes affaires à Béziers sans surveillance moins d’une minute mais c’était suffisant pour me voler mes cartes. Je suspecte la dame avec qui je discutais et sa fille qui traînais vers mon vélo en gare de Béziers… ça m’apprendra à laisser mon portefeuille sans surveillance. Cette mésaventure reste à relativiser, je n’ai perdu que de l’argent et elle m’arrive en début de voyage, elle est donc formatrice pour la suite.

La journée se termine joyeusement avec les copains/copines de Toulouse, chez qui s’improvise un cours de vélo couché. Les élèves sont plutôt bons et parviennent après quelques démarrages difficiles à s’élancer tout seul ! Un bon repas en bonne compagnie me fera oublier les soucis du jour.

Dernière ligne droite


Ce mercredi conclura l’étape Alpes – Pyrénées. Tristan et Quentin les Toulousains m’accompagnent jusqu’à Boussens. L’une des plus jolies sorties jusque là avec les Pyrénées en toile de fond. J’ai hérité à Toulouse d’un bagage en plus : mon parapente. Son poids se fait bien ressentir dans les montées… Cette étape est un retour aux sources, là où j’ai commencé la montagne.

Une dernière bière avec les Toulousains en attendant le train, et je finirai tout seul. Adieu Toulouse, à bientôt les amis !

La route devient de plus en plus familière à partir de Mane. Je croise même une cycliste un peu avant Arbas. Elle était en train de fredonner lorsque je la dépasse, et sursauta dès qu’elle me vit. En rigolant, elle m’avoue qu’elle chantait pour rendre la pédalage plus agréable et penser à autre chose. Un petit rayon de soleil avant d’arriver enfin chez Thierry (mon ancien moniteur de parapente) ! Je retrouve d’abord Sébastien (un ami parapentiste de Grenoble) à l’atterrissage puis Thierry passera nous prendre plus tard. Quel plaisir de revenir ici après presque 6 ans. Un havre de calme, qui respire la joie de vivre et la bienveillance.


Vélo debout
Zéro Carbonne
La Cordillera Pyrénéenne

expé mont chauve (part3)

Temps de lecture / Reading time: 7 minutes

Une fois l’inselberg gravi, et le grand Machikou dernière nous, on pourrait croire que le plus était derrière nous ? Et bien, pas vraiment ! Notre point d’arrivée est en effet différent du départ : nous irons jusqu’à Cayenne. C’est environ 80 km que nous parcourrons dans l’océan sur les côtes guyanaises. Selon, c’est la plus belle étape du voyage, la plus calme aussi.

J15 – Mardi 27 : Arrêt au camp Cisame

Départ 7h30, avec objectif de déjeuner au camp Cisame. Nous allons récupérer des affaires posées par notre piroguier. Matinée sympa qui démarra dans le brouillard. Comme l’impression de naviguer sur le Lochness tropical !

Vers midi nous arrivons au camp Cisame. Très bien reçus, le propriétaire nous propose un petit coup à boire, que nous acceptons volontiers. Nous le questionnons sur les nouvelles du monde, malheureusement rien a changé !

La descente de l’après midi est forte en émotion, nous passerons plusieurs sauts : sauts Matthias, Athanase et Mapaou, qui sont devenus de petits rapides sympathiques avec la baisse du niveau d’eau. Les remous, ces courants invisibles, sont très forts. Christian se moquera plusieurs fois en me voyant danser sur l’eau de façon complètement incontrôlée.

Christian essaie de pêcher depuis un rocher

J16 – Mercredi 28 : Retour à la civilisation, à la 4G

La marée agit sur l’Approuague jusqu’au saut Mapaou, elle nous accompagnera donc à partir d’aujourd’hui. Le fleuve semble s’élargir peu à peu. En tout cas, le courant est de plus en plus faible.

La vue sur le pont de Régina

Nous arrivons à Régina vers 15h30. La connexion internet nous donne l’occasion de rassurer nos proches. Aussi nous devons faire le plein d’eau, car les prochains jours nous n’aurons accès qu’à de l’eau salée. C’est environ 12L qu’il nous faut pour 4 jours (nous réaliserons le dernier jour que c’était légèrement insuffisant) ; cela fait donc 12 kg de plus !

Première nuit en limite de mangrove : donc avec beaucoup de moustiques !

J17 – Jeudi 29 : Avancée dans l’estuaire

Longue navigation au programme car nous comptons nous approcher le plus possible de notre objectif du lendemain : le grand Connetable. Le courant nous porte de moins en moins et Christian commence à fatiguer, son kayak est moins adapté que le mien pour faire de la distance. Du coup, nous échangeons nos kayaks pour cette étape. Nous devrions arriver cette nuit à quelques kilomètres de l’embouchure.

Sur la rive gauche, nous croisons le canal de Kaw, qui rejoint les marais éponymes. Un beau rideau de pluie s’abattra sur nous à mi-parcours, un superbe spectacle, pas forcément désagréable.

Arrivés à marée basse au camp, il a fallu attendre un peu que le niveau remonte pour installer le camp dans la mangrove. L’endroit trouvé est parfait : de larges racines de palétuviers permettent d’accéder aux hamacs depuis les bateaux et on devrait pouvoir attacher les hamacs assez haut pour éviter de dormir les fesses dans l’eau à marée haute.

J18 – Vendredi 30 : Grand Connetable

Démontage laborieux du camp ce matin. La marée de la nuit a humidifié toutes les racines. Je ne sais pas si c’est l’excitation ou par peur de manquer de temps sur notre étape, mais Christian est pressé de partir ! Je peine à ingurgiter mon petit déj, puis je galère à défaire mon camp… Départ à 8h, 1h30 après notre réveil.

En se rapprochant de l’océan on commence à voir de gros poissons qui sautent hors de l’eau, selon Christian ce serait des thazards.

Nous longions la rive droite, assez proche du rivage, lorsque deux énormes trous d’eau se forment dans un boucan d’enfer sous notre nez. Peut-être avons-nous dérangé deux lamentins ?

De superbes nuées d’oiseaux accompagnent notre épopée, de toutes les couleurs : rouge, blanc, gris ; le tout sur fond vert.

Vers 10h30 nous arrivons à l’embouchure. Nous verrons le Grand Connetable que quelques minutes avant de l’atteindre. A l’embouchure nous croisons trois bateaux de pêcheurs brésiliens. Pas sûr qu’ils aient le droit de pêcher là… En tout cas, ils ne sont pas aussi sympas avec nous que les orpailleurs ! Après trois bonnes heures méditatives sur une mer d’huile, je m’arrime à la bouée de l’île aux oiseaux. Christian a préféré débarquer son kayak.

Nous passons l’après-midi à nous reposer en observant les oiseaux virevolter tout près. La vue sur Cayenne est sublime ! Contents d’être arrivés là.

Rêveurs devant le coucher de soleil sur Cayenne, un grand coup de feu nous ramène à la réalité. Qu’est-ce qui se passe ? Une bombe ? En levant les yeux au ciel, nous remarquons un étrange nuage qui zigzague. Nous venons de rater un lancement de fusée !

J19 – Samedi 31 : Ilet la mère

Pire nuit de toute ma vie ! J’ai dû dormir 2h. Le reste du temps il faut s’imaginer des rats qui courent sans arrêt sur la tôle et une vingtaine de coqs qui chantent en chœur à côté de votre oreiller ! C’est à cela que ressemble le concert nocturne quotidien sur l’île aux oiseaux.

C’est le premier matin où mon hamac est rangé avant celui de Christian : à 6h30 j’étais prêt à partir. Ma seule envie : arriver le plus tôt possible sur l’ilet la mère pour remonter fissa fissa mon hamac ! 30 km nous séparent. La marée, le vent, le courant et la houle devraient jouer en notre faveur sur ce trajet. Christian espère utiliser sa voile, dès que le vent se lève.

Nous l’attendrons ensemble pendant 1h, puis las et fatigué, ne voyant pas de difficultés majeures, je lui propose de nous séparer. J’ai trop envie de dormir, je dois pagayer pour rester éveillé.

Christian me donne quelques indications pour aborder l’ilet, puis zou, je mets les voiles, enfin, les pagaies !

Comme la veille, je m’arrêterai à de nombreuses reprises pour profiter du silence. Par rapport à la forêt, le contraste est saisissant !

Le Connetable derrière moi rétrécit assez vite et je perds Christian de vue après une heure de pagaie. L’ilet la mère est en partie caché par ses deux mamelles, deux petits ilets sur son flanc est. Mais la mère les domine.

Une fois au niveau des mamelles, je me dis que je devrais arriver assez rapidement… Mais pas du tout, je galère à me rapprocher… (il doit être 11h)

Un hélicoptère survole l’ilet, peut-être les gendarmes ? Une fois un peu plus proche, j’essaie d’identifier une zone d’accostage. J’ai l’impression que des vagues déferlent sur toute cette face nord-est… Christian m’a dit que les touristes débarquent « à gauche ». Mais de quelle « gauche » parlait-il ? Celle en venant de Cayenne ? Ou du Connetable ? Clairement notre état de fatigue se fait ressentir dans la transmission d’informations… Je décide de m’approcher de « la gauche » néanmoins car : c’est plus près et ça semble plus accueillant !

Un bateau qui installe un filet suggère par l’endroit où il stationne que le passage est possible entre deux zones rocheuses, juste après je découvre une petite plage, bien protégée. Deux familles y déjeunent tranquillement. Après avoir débarqué, je vide mon kayak et commence à faire sécher des affaires. Curieux, les occupants de la plage me demandent combien temps prend le trajet depuis Cayenne. Amusé, je leur réponds, un peu plus de trois semaines, mais avec un petit détour ! A entendre notre aventure, ils sont admiratifs.

Par la suite, ils me partagent leur déjeuner : un bon poulet à la mayonnaise avec un verre de coca, quel bonheur ! Plus tard, c’est un autre groupe qui nous offrira de l’eau fraîche.

Christian arrive moins d’une heure après moi. Il a pu sortir sa voile vers la fin mais sinon il a pagayé le reste du temps. Apparemment, un fort courant l’empêcher d’avancer lors des derniers kilomètres (mais nous n’avons pas pris exactement la même route : mamelles à gauche pour moi, à droite pour lui).

Pendant que Christian se repose, je décide de faire le tour de l’île. Je commence par son ascension. Une courte montée mène à une antenne. Le chemin est plus ou moins « entretenu » même s’il y a quelques petits chablis à passer. Au sommet, j’arrive juste après l’atterrissage de l’hélicoptère. Loin d’être les gendarmes, ce sont des touristes qui s’offrent un AR depuis Cayenne par les airs ! C’est étonnant sachant que l’ilet est déclaré comme zone protégée…

J20 – Dimanche 1er : Cayenne

Départ à 10h30, on va essayer d’arriver à marée haute car la plage est envasée. Pas de vent jusqu’à midi… On voit quelques dauphins au loin, plutôt craintifs. Je sens la fatigue, ramer est difficile.

De gros machoirands s’approchent des bateaux. L’eau translucide nous permet de bien les observer. Les machoirands voguent avec nous lorsque nous ne pagayons pas, puis, lorsqu’ils réalisent que nous ne faisons pas partie de la vie marine, ils plongent subitement dans les profondeurs.

Avant d’arriver, j’ai un gros doute sur la localisation du Mt Bourda. Depuis la mer, la perspective est différente. Après vérification sur la carte, tout va bien. Le cap est bon, mais j’ai bien failli me tromper ! Je confondais Bourda avec le mont Ravel.

Avant de débarqué, j’ai pu voir de près des dauphins qui chassaient dans la vase. Dès que j’arrivai à leur hauteur, ils fonçaient comme des torpilles !

Derniers 50m de vase à faire à pied, c’est tout coloré que j’arriverai de cette expédition, coloré et puant mais heureux !

L’aventure est finie. Une très belle rencontre d’un aventurier passionné par le paradis vert. Nous discutons déjà de notre prochaine sortie !

Expé Mont chauve (part2)

Temps de lecture / Reading time: 8 minutes

La partie kayak est mise en sommeil jusqu’au retour. A partir de maintenant c’est à pied que nous progresserons. A travers la jungle, sans layon (= sentier), nous suivrons un cap et essayerons de longer les lignes de crête. Nous croiserons quelques surprises sur le chemin avant d’arriver au but tant recherché, celui pour lequel nous avons fourni tous ces efforts ! Ci-dessous une petite carte de notre épopée jusqu’à l’inselberg : en noir la partie en pirogue 3 heures), en bleu en kayak (2 jours), en rouge à pied (2,5 jours).

J5 – Samedi 17 : 5 km à pied, ça use, ça use

Après le petit-déjeuner, nous commençons à nous organiser pour partir avec des sacs les plus légers possibles. L’idée est de partir qu’avec des repas froids et de mutualiser une partie de la nourriture. Une fois paquetés, nos sacs avoisinent les 12-13 kg pour 6 jours d’autonomie. Nous partons avec une bâche et une machette pour deux.

Le départ est rude. En 45 minutes nous enchaînons eux montées-descentes très raides. On a parcouru 500m à vol d’oiseau. On marche à l’azimut direction plein Nord-Nord Ouest. Plein cap sur le sommet de l’inselberg. Avec la déclinaison magnétique de 18° il suffit de suivre le nord magnétique !

Sur le chemin, on verra de nombreux hoccos et une dendrobate (noire et jaune).

A la fin de la journée nous aurons parcouru 5 km (en 5h de marche environ).

J6 – Dimanche 18 : Gros sur le caillou

Théoriquement il nous reste encore deux jours de marche jusqu’à l’inselberg. Départ tranquille du camp vers 8h30. Ce jour là nous traverserons de nombreuses criques et leurs marécages. Nous essayons de faire attention où nous mettons les pieds mais la plupart du temps c’est impossible de rester concentrer à regarder ses pieds… Sur notre chemin, nous croiserons une ruine de camp d’orpaillage avec ses restes de barils de pétrole rouillés. Et oui, l’homme laisse même des traces au beau milieu de la forêt amazonienne !

Lors du déjeuner, nous faisons un point GPS : il ne nous reste que 2,3 km avant l’inselberg ! Nous y serons certainement ce soir. L’après-midi nous progressons assez vite car le terrain est plat et la forêt est peu dense.

L’accès à l’inselberg se fait par l’ouest (côté le moins raide). Or nous arrivons du sud-est. Une fois la partie sud contournée nous arrivons à un mur de végétation. Herbes coupantes et lianes denses nous feront face. En plus, nos réserves d’eau sont vides, et il est fort probable qu’il n’y ait pas d’eau sur le caillou… C’est la première fois que nous prions la pluie de tomber ! Il est environ 14h30-15h quand le tonnerre commence à gronder. C’est notre chance !

On tend la bâche et pendant que je récupérerai l’eau, Christian ira chercher un accès pour monter sur l’inselberg.

20 minutes plus tard, les bouteilles sont pleines et Christian est de retour. Nous monterons à travers bois et dès que l’inselberg sera plus plat, nous passerons sur la roche. Juste après la pluie, les inselbergs sont généralement très glissants. Christian, avec sa paire de chaussure neuve ne risque rien ; je ne peux pas en dire autant de mes vieilles pompes… Je ne suis pas très rassuré.

Sur le rocher il y a deux types de végétations principales : des touffes d’herbe (coupantes la plupart du temps) et des arbustes aux formes rondes. Sur l’inselberg trempé, nous préférons marcher directement sur ces touffes coupantes plutôt que de glisser à toute vitesse vers elles ! L’ascension est plutôt courte et nous nous retrouvons assez vite sur un campement idéal.

En moins d’une semaine, moyennant une cinquantaine de litre de pétrole, nous avons atteint notre objectif !

J7 et J8 – lundi 19 et mardi 20 : Chill sur le mont Chauve

Pas grand-chose à faire ici haut, à part : manger, discuter lire, méditer, contempler, se reposer.

Mardi, nous sommes partis en exploration sur la face nord et est. Première tentative infructueuse : nous sommes bloqués par un mur de végétation. Puis nous décidons de contourner par le sud via une portion de forêt. Après quelques minutes de marche, un spectacle s’offre à nos yeux !

J9 et J10 – Mercredi 21 et jeudi 22 : retour au camp

Notre jour sur l’inselberg est terminé. Il est temps pour nous de retrouver nos chers kayaks et nos boîtes de cassoulet ! Cela fait 6 jours à manger cru, il nous tarde donc de déguster un plat chaud. Au pied de l’inselberg, dans la forêt, des manaquins casse-noisette célèbrent notre départ. Ces oiseaux font la cour à plusieurs pour s’attirer le charme de la femelle spectatrice.

Très peu d’observations par la suite. Le premier jour de marche nous effectuerons presque 7 km, le tout en évitant la plupart des marécages traversés à l’aller.

La seconde journée, c’était un peu les montagnes russes. Beaucoup plus valloné que la veille. Aorès 5 bonnes heures de marche nous voilà au campement. Exténués, avec qu’une idée en tête : manger chaud. Nous prévoyons de passer deux jours ici et d’essayer de pêcher. Le niveau de la crique est toujours haut, mais elle a baissé d’un mètre pendant notre escapade.

J11 et J12 – Vendredi 23 et samedi 24 : pêche et repos au camp de base

Quelques tentatives infructueuses de pêche… Une fois tous les yayas du secteur pêchés, et dévorés dans les trappes posés nous nous résignons. C’est soit parce que le niveau d’eau est trop élevé, ou parce que nous sommes de mauvais pêcheurs !

J13 – Dimanche 25 : Descente du Grand Machikou

Ça fait aujourd’hui douze jours que nous sommes déconnectés. Notre départ du camp de base rime avec lent retour à la civilisation. Quatre jours « tranquilles » de pagaie nous séparent de Régina et trois de plus seront nécessaires pour rallier Cayenne.

On plie ce camp plein de souvenir. Nous y avons passé cinq nuits !

Comme le niveau de l’eau a baissé, le passage des obstacles est légèrement différent. Je garde une légère appréhension de mes accidents du premier jour à chaque passage d’obstacle (mais le courant est plus faible et nous allons dans le bon sens). Pour la première fois nous arrivons à un vrai chablis, càd un tronc en travers de la crique qui relie une rive à l’autre. Christian a bien l’habitude et la technique pour les passer. En plus, son kayak est vraiment adapté à ce genre de manœuvre. Au contraire du mien, le kayak de mer est fait pour y être installé pendant des heures et ne pas en sortir. Le faible courant de la crique me permet néanmoins e réaliser la manœuvre aussi aisément que Christian. Au moment de remettre mon kayak à l’eau, Christian murmure d’une voix excitée : « Une loutre ! Elle sort de l’eau. »

C’est une jeune loutre géante. Elle est montée sur le tronc depuis la rive opposée. Elle se dirige vers nous d’une démarche hésitante, le regard vers l’amont, songeuse. Nous l’admirons, immobiles. Soudain, nos regards se croisent, elle est à quelques mètres. Après un furtif coup d’œil vers la crique, c’est le plongeon.

Contents de notre observation, nous reprenons la route. Sur l’Approuague, c’est l’autoroute à pirogue. Sur la journée, nous en croiserons une quinzaine. Tantôt vides, elles descendent le fleuve jusqu’à Régina pour les approvisionnements ; tantôt pleines, elles remontent vers les camps d’orpaillage pleines de vivres et d’essence. C’est souvent le même spectacle qui s’offre à nous : une coque alu remplie à la limite de flottaison et un moteur hors-bord de la taille du piroguier (en général 200 CV) ! Quatre à cinq jeunes sont allongés sur les sacs de nourriture.

En début d’après midi, nous arrivons au saut du Grand Machikou. Ici nous attend une longue séance de portage que nous ne sommes pas pressés d’effectuer. Le premier portage se fait assez vite, trois aller-retours suffiront. Lors du dernier voyage, trois pirogues d’orpailleurs arrivent en haut du saut. Intrigués, nous les observons descendre la première marche du saut… en marche arrière !

La pirogue part avec à bord le piroguier, seul. Pendant ce temps, quatre ou cinq brésiliens amortissent la descente en retenant la pirogue par une corde. Une fois la pirogue à plat, la marche franchit, le takari rejoint le piroguier qui donne une franche accélération pour remettre la pirogue dans le sens de descente.

Apparemment la marche suivante est impossible à descendre car ils empruntent le sentier de portage. Nous sommes impressionnés par la manœuvre dans le saut. Lorsque nous revenons à notre portage de kayak, plusieurs brésiliens nous proposent spontanément leur aide, que nous déclinons poliment. Arrivés à la mise à l’eau, une question primordiale nous vient à l’esprit : à quoi ressemble le prochain portage dans ce sens ? Douze jours plus tôt nous avons effectué le trajet dans l’autre sens et nous étions partis d’une berge bien cachée par la forêt.

Christian se propose d’aller en éclaireur pour voir l’état des rapides et éventuellement de trouver le dégrad. Pendant ce temps là, les brésiliens remettent leur dernière pirogue à l’eau. Au retour, Christian est partagé. Il lui semble possible de franchir les deux prochaines marches avec son kayak, mais il ne veut pas trop s’avancer sur le résultat avec le mien.

En plus, on ne sait pas à quoi ressemble les rapides d’après…

Les brésiliens ont fini de charger leurs pirogues et s’apprêtent à repartir. Une option pour nous serait de passer le saut avec eux.

Quelques palabres suffirent pour que quatre brésiliens embarquent nos kayaks en deux temps trois mouvements. C’est parti pour dix minutes de sensations fortes !

Nous sommes quatre dans ma pirogue, dont un pilote au moteur et un takari à l’avant, à la pagaie. Ce dernier indique au pilote le meilleur chemin à emprunter dans les rapides. Il pagaie de temps en temps pour aider le bateau à pivoter. Une petite dizaine de marches se suivent avec des rapides plus ou moins forts. Lorsque le courant commence à nous emporter, un franc coup d’accélération suffit à nous remettre droit. A chaque coup d’accélérateur, je sens mon cœur qui lui aussi suit le moteur. L’adrénaline monte durant cette descente, certains rapides forment des vagues de plus d’un mètre.

Heureusement que nous ne nous sommes pas aventurés en kayak dans le saut car le risque d’accident était élevé !

Le saut passé, les pirogues semblent parties pour nous emmener encore loin. Celle de Christian est devant moi mais je l’ai perdue de vue depuis un moment déjà… Après quelques minutes de navigation, je vois les deux pirogues arrêtées au milieu du fleuve. L’atmosphère est détendue, cigarettes au bec et tasse de café en main. On sent que le stress du saut doit s’évacuer.

Nos hôtes veulent nous emmener jusqu’à Régina, mais nous leur expliquons qu’ils peuvent nous laisser là car nous voulons continuer à la pagaie. Perplexes, ils nous aident à débarquer, toujours le sourire aux lèvres. A peine remerciés, ils reprennent leur trajet vers Régina !

Cette expérience était formidable, naturelle et très excitante !

Nous bivouaquerons deux heures plus tard dans une petite crique.

C’est ici que nous avons croisé la loutre

Expé Mont Chauve (Part1)

Temps de lecture / Reading time: 8 minutes

Voici une petite série d’articles qui raconte notre expédition de cet été, réalisée avec Christian. Le but était de rejoindre un inselberg (une montange-île, qui désigne un gros caillou surplombant la canopée) pas loin de l’Approuague, un des fleuves principaux de Guyane.

L’aventure s’est déroulée sur trois semaines de mi-juillet à début aout 2021.

Préparation

Christian est prof de physique-chimie en prépa en Guadeloupe. C’est lorsqu’il était en poste à Kourou qu’il est tombé sous le charme de la foret tropicale. Et malgré son départ du paradis vert, il y plus de cinq ans, il revient quasiment tous les ans pour passer ses vacances dans la jungle.

C’est sur un groupe Facebook qu’il posta des photos de sa dernière expédition sur l’inselberg de Nouragues. La raison : il cherchait un ou plusieurs partenaires pour l’accompagner dans sa prochaine aventure. Ses superbes photos, et son court récit d’épopée, à moitié en kayak et l’autre à pied, m’ont décidé à lui envoyer mes encouragements et à faire naître une petite envie de voyage chez moi. Mais je n’aurai jamais le temps de me libérer trois semaines cet été pensais-je….

L’idée ne m’a jamais abandonné. Et j’ai pris la décision de partir avec Christian début juin. Tout devait être organisé dans un délai d’un mois. Comme nous ne nous connaissions pas, nous avons échangé plusieurs fois par téléphone. Pour connaître les expériences et les attentes de chacun. Christian a une bonne connaissance de la foret et a l’habitude de passer des temps assez longs dans la jungle. Sportif, il pratique le kayak, la planche à voile régulièrement. Plusieurs expéditions en Guyane font parties de son palmarès : St Georges – Cayenne en kayak, l’inselberg des Nouragues en remontant la Comté, et j’en passe ! A côté, mon expérience de la foret est plus « light »…

Le courant passe bien, et j’ai un peu de temps de disponible pour gérer l’organisation d’ici juillet. La plus grosse partie logistique (comme souvent en Guyane) : le transport. En effet, il faudra amener nos deux kayaks jusqu’à Régina, petite ville qui borde l’Approuague, puis il nous faudra certainement être remorqués en pirogue un peu plus haut sur le fleuve si l’on veut tenir notre calendrier de trois semaines. Suite à plusieurs échanges avec beaucoup de monde, une organisation logistique complexe multi-acteur a permis de rendre l’expédition possible. Un GRAND merci à Camille et Max, Julien, Hervé, Virginie, Adrien, Cass, Marie, les garimpeiros, les inconnus de l’ilet la mer,… Et j’en oublie sûrement certain.e.s !

Un objectif : atteindre l’inselberg du Mont Chauve puis rentrer en kayak par la mer jusqu’à Cayenne. Les voies naturelles de déplacement en Amazonie ce sont les cours d’eau. Ils permettent de se rendre à peu près partout, moyennant une petite marche de quelques kilomètres.

Pour rejoindre le Mont Chauve, il nous faudra prendre deux « routes » : l’Approuague jusqu’au point kilométrique 120, puis la crique Couy pour une quarantaine de bornes. Enfin, il resterait moins de 10 km à parcourir à pied en pleine jungle, soit 2 bonnes journées de marche.

J1 – Mardi 13 : le grand départ

Ce matin on attendait Marie qui devait nous retrouver vers 6h30 au pied du mont Bourda (à Cayenne). Mais sa voiture en a décidé autrement… Sa batterie a choisi de mourir de vieillesse la veille. Marie, c’est une amie de ma copine qui vit sur un bateau.

7h : arrivée de Marie

7h30 chargement et départ pour récupérer batterie

8h00 : la batterie offerte est malheureusement trop grosse et ne rentre pas dans le compartiment…

8h30 : départ de Cayenne avec batterie neuve

Les présentations se font dans la voiture sur le trajet. Christian est prof de physique en classe prépa en Guadeloupe et Marie va reprendre ses consultations comme osthéo. Notre arrivée tardive à Régina (2h de retard…) est un peu problématique pour le guide car le trajet prévu est long (4h) et donc le retour avant la nuit pour le guide et son piroguier est compromis.

Nous chargeons néanmoins rapidement la pirogue et nous partons tout de suite après.

Sur la pirogue il est difficile d’échanger à cause du bruit du moteur, nous nous contentons donc d’admirer le paysage qui défile et les tortues qui plongent sur notre passage.

Arrivée à destination, le chargement est vidé aussi rapidement qu’il a été embarqué et nous sommes abandonnés aussitôt par la pirogue qui veut rentrer avant la nuit. Il doit être 14h30-15h. Le guide nous a conseillé de dormir sur l’ilet où il nous a déposé et de prendre le fleuve demain.

Mais l’impatience de l’aventure est trop grande, et malgré notre fatigue de la courte nuit, nous embrayons à kayak juste après un rapide déjeuner.

La première étape sera de porter le matériel au-dessus du saut du Grand Machikou.

Selon le guide, il faut une bonne demi-journée de portage. Nous sommes assez chargés (30 kg de matos + 20-30 kg de kayak). Le layon de portage est plutôt étroit et il est par moment difficile à suivre.

Après 2-3h de galère nous décidons de monter le camp et de terminer le portage demain.

A 20h au lit !

Mon kayak jaune ressort bien sur le fond vert de la foret

J2 – Mercredi 14 : Premiers coups de pagaie

Ce matin, réveil tranquille au camp. Nous savons que la matinée qui nous attend sera physique… Nous passerons près de 4h à tirer les kayaks à travers les layons.

Le dernier tronçon est large, c’est là que passent les pirogues. Un passage très court mais très boueux. On prendra le déjeuner à la mise à l’eau finale, en haut du saut. Couac-couscous-maquereaux : ce sera certainement le menu fétiche du midi pour 3 semaines !

Enfin, nous chargeons les kayaks pour l’aventure. Nous n’aurons plus de portage avant 30 km, à contre-courant.

Naviguer sur un fleuve est un bon moyen pour avoir une vue dégagée sur la canopée, et donc d’observer des animaux. Nous observerons assez souvent des capucins bruns.

Puis arrive la première mésaventure. La saison des pluies a bien chargé les cours d’eau guyanais et l’Approuague ne fait pas exception ! Le courant est très fort, et nous longeons les berges pour bénéficier du courant le plus faible possible. Mais des rapides ponctuels persistent par endroit. Lors de la première remontée de rapide, il faut ramer vite avec intensité. C’est très fatiguant physiquement (un peu comme un sprint) et psychologiquement (on avance millimètre par millimètre). J’ai l’impression de ne pas avancer… D’un coup, le courant m’emporte et fait pivoter le bateau qui vient s’arrêter sur une branche d’arbre coincée dans l’eau. Soudainement mon kayak se retourne, je me retrouve la tête sous l’eau sans autre choix que de m’en extirper en tirant sur la jupe. La tête hors de l’eau, j’ai ma pagaie dans une main et le kayak dans l’autre. En quelques secondes j’ai déjà parcouru une dizaine de mètres. Du regard, je suis ma popote qui prend le large… J’essaie de pousser mon kayak vers la rive, heureusement elle n’est pas trop loin. Cette situation m’a permis d’apprendre de mon erreur : ne jamais laisser du matériel dans le « cockpit » du kayak.

Christian qui était parti devant ne m’a pas vu me retourner. Lorsque je le retrouve, il pense que je m’étais arrêté pour observer un jaguar !

Deuxième essai de franchissement. Re-belotte ! Je me retourne au même endroit.

Cette fois je ne dessale pas complètement mais je dois m’extraire du kayak. Christian vient à mon secours. Il est plus à l’aise que moi dans cette situation. Grâce à son aide, j’arrive à passer.

Le soir, je cogite beaucoup sur les évènements de la journée et je me demande si je suis assez préparé pour partir trois semaines sur ce fleuve. J’ai l’impression que mon expérience est trop faible pour ces conditions de navigation. Je ne dormirai pas très bien.

J3 – Jeudi 15 : Début de la Couy

Grosse journée, presque 6h de pagaie. Plusieurs ibis verts sur le chemin. Encore une observation de capucins bruns et les chants de singes hurleurs percent la forêt. Attaqués par des fourmis foraces lors d’un passage de chablis, nous garderons des traces sur nos corps pendant quelques jours et les démangeaisons pendant quelques heures ! Des iguanes plongent des arbres à chaque virage. Nous sommes dans une sorte de forêt inondées/marécage. Le niveau d’eau est toujours aussi élevé. Nous parcourrons plusieurs kilomètres avant de trouver un endroit au sec pour bivouaquer.

J4 – Vendredi 16 : Saut Daudet

Peu à peu je retrouve un appétit normal. Je pense que j’étais un peu stressé les premiers jours. Surtout suite à mon « accident ». Un lien, une confiance commence à s’établir entre mon kayak et moi. J’apprends à le maîtriser de mieux en mieux. Aujourd’hui nous laisserons une partie de notre chargement au campement pour nous alléger (surtout de la bouffe). Et ça se sent sur l’eau : moins de coup de pagaie et plus de vitesse !

Après une bonne heure de pagaie, nous arrivons au saut Daudet, deux virages plus tôt Christian l’avait entendu.

C’est le saut le plus impressionnant du voyage : par sa longueur et sa puissance. L’écume et les vagues blanches se suivent sur 200m. Nous disposons de deux armes pour le vaincre : la patience et le topo du club de kayak de Cayenne. Ce dernier décrit avec précision le passage de chacun des sauts de la Couy. Pour celui-ci, nous devons tirer les kayaks dans un bras secondaire puis traverser pour un gros portage à gauche (après avoir traversé dans la crique). Mais le fort débit et le niveau d’eau élevé rendaient ces tâches plus difficiles. Christian, lui, commençait à douter de plus en plus de la résistance de mon kayak (en fibre) pour toutes les épreuves qui l’attendaient. En plus, il ne se sent pas suffisamment en forme pour être sûr de pouvoir m’aider aux franchissements.

Que faisons-nous ?

Option 1 : Forcer le passage et voir ce qu’il se passe. Au risque de nous retrouver bloqués plus loin (au prochain saut par exemple).

Option 2 : Rebrousser chemin et re-tenter l’aventure en saison sèche ? L’année prochaine ?

Option 3 : Tenter l’ascension de l’Inselberg depuis notre dernier campement.

C’est finalement cette dernière option que nous privilégierions. C’est une marche un peu plus difficile que celle prévue à l’origine mais cela nous semble un bon compromis. En plus, je rassure Christian en lui disant que je suis bon marcheur et que je me sentirai plus à l’aise que sur un kayak.

Pour cela il nous faut : du repos et bien optimiser nos sacs !

Dans le prochain épisode, l’ascension de l’inselberg, attention : vous allez en prendre plein les mirettes !

Un voyage oui, mais pourquoi ?

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Voici un court article avec un petit podcast (d’une quinzaine de minutes), pour faire le point sur cette année d’aventure. J’essaie aussi de répondre à la question « pourquoi suis-je parti ». N’ayant pas vraiment préparé mon message il est un peu répétitif, et on entend aussi mes tics de language. Pardonnez moi pour cela ! Bonne écoute !

Pourquoi partir ?

Quelques dates clefs de ce voyage :

  • 22.03.2019 : départ de la maison en famille
  • 27.03.2019 : aventure parapente pyrénéenne
  • 01.04.2019 : voyage en duo avec Jens jusqu’à Porto
  • 01.05.2019 : embarquement sur Soukha avec Pierre, capitaine québécois
  • 01.06.2019 : traversée du Maroc en plein ramadan
  • 15.07.2019 : arrivée dans l’archipel des Canaries
  • 01.08.2019 : début de sédentarisation longue à Gran Canaria et recherche de bateau pour la transat
  • beaucoup mais alors beaucoup de choses se passent entre ces deux points !
  • Fin octobre 2019 : achat d’un voilier d’occasion avec deux autres voyageurs bateau-stoppeur
  • Fin novembre 2019 départ pour la transat
  • 24.12.2019 : retour en France, Guyane française ! On l’a fait !
  • Fin mars 2019 : installation en Guyane pour une durée indéterminée

Gran Canaria : hippies, randos et bateau-stop

Temps de lecture / Reading time: 20 minutes

Ici se joue une étape clef du voyage : traverser l’Atlantique. Le « vrai » bateau-stop commence à Las Palmas car c’est à la croisée des routes marines transatlantique. D’ailleurs, la Mini-transat, une course sur petit bateau (6.5 m), a commencé de Bretagne et passé par les Canaries ! Quatre mois après mes premières foulées sur l’archipel, j’y étais encore. Que le temps passe vite !

Pour ne rien arranger à la difficulté du bateau-stop, j’étais parti avec une contrainte : rejoindre mon ami Jorge au Chili pour skier en Septembre. Les différents délais accumulés (surtout à cause du bateau-stop), rendait la tâche difficile mais réalisable… Sous réserve que je trouve un bateau rapidement. Ainsi je me donna jusqu’à mi-août pour trouver un bateau, sinon j’abandonnerai le plan ski pour cette année… En réalité une troisième option était envisageable. Mais elle impliquait de prendre l’avion.

Fin décembre je suis arrivé en Guyane française à bord d’un petit voilier de 9m. Et j’en suis co-propriétaire. En octobre, nous avons décidé avec deux autres voyageurs de forcer un peu le destin, et de traverser l’Atlantique sur notre propre bateau. Cet article n’est pas le sujet de cette histoire par contre. Mais il raconte mon long séjour sur Gran Canaria, une île dont je suis tombé amoureux tant par les rencontres, que grâce à ses paysages.

Ici ma stratégie de bateau-stop a un peu changé par rapport au Maroc : je ne veux pas rester tout le temps à la marina. Début août, la fenêtre pour arriver courant septembre en Amérique était toujours ouverte. Mais elle se refermait doucement. Chaque jour qui passe m’éloignait de mon projet de ski au Chili.

Prendre ses marques

Première visite de la marina de las Palmas. Elle est gigantesque. Je vais donc me présenter à l’administration et demande un endroit pour afficher mon annonce. J’ai l’impression de les déranger… un homme au téléphone me dit vaguement qu’il y a un tableau d’affichage de l’autre côté, et il reprend sa conversation. Bon, je pense que ces gens là ne vont pas trop m’aider… Heureusement j’ai quelques contacts ici : un anglais m’a donné le numéro d’une amie qui habite sur son bateau, et je contacte aussi Ivo et Dajana, un couple d’ami d’un ami de Thierry. Le réseau marin, ça compte beaucoup !

La plage de Las Alcaravaneras jouxte la marina. Je la longe en rentrant. Là, je rencontre un couple français qui fait le tour du monde sans argent. Pour vivre, ils fabriquent des bracelets, cela leur permet d’acheter leur nourriture journalière. Ils dorment sur la plage et me confirment que c’est toléré. L’avantage ici ce sont les douches et les casiers pour entreposer les sacoches. Demain, je vais de toute manière poser une majorité de mon bardas chez Yesenia, une grancanaria cyclo-voyageuse.

Yesenia dort chez sa mère, elle ne peut donc pas vraiment m’héberger. Mais elle me propose de laisser des affaires chez elle, ce qui m’arrange bien ! Je garderai donc le minimum pour dormir (duvet et bâche) et de quoi manger (réchaud, nourriture). Ainsi, je m’allège de presque 30 kg !

Après un long échange sur son voyage et nos différentes expériences, elle m’invite à l’accompagner, elle et un ami, à la plage. Excellente après midi en compagnie de ces locaux, malgré le vent et la marée haute. Son ami nous emmènera aussi visiter des grottes dans la vallée de Temisa. 

Je décline l’invitation au concert de ce soir pour me reposer. Yesenia m’informe aussi d’une grosse fête au village d’Agaete qui a lieu demain : la Fiesta de la Rama (fête des rameaux).

Cette fête a lieu un jour avant une cérémonie en l’honneur de la Vierge. Pendant cette cérémonie, une grande procession part de la ville d’Agaete (en bord de mer) et monte jusqu’au bateau de la Vierge dans la montagne. Lors de la fiesta de la Rama, les rues d’Agaete sont pleines de danseurs et de musique. Tout le monde agite ses rameaux.

J’essaie de m’y rendre en auto-stop, mais c’est un échec. C’est donc en guagua (nom local des bus) que j’irai ! Le bus est plein, les jeunes chantent, ça me rappelle d’une certaine façon les excursions en école d’ingé et ses chansons paillardes. 

Dans le bus, je recois un message de Toni, un autre hôte Warmshowers. Il ne peut malheureusement pas m’héberger aujourd’hui car il est… à la Fiesta de la Rama ! Je passerai une partie de la fête avec lui, puis je rejoindrai Yesenia et ses amis. Mais, dans cette marée humaine, je ne réussirai pas à permettre aux deux groupes de se rencontrer ! Les rues sont pleines, la musique s’entend partout, des montagnes d’ordure balisent les intersections. Je suis en même temps content de ce hasard de calendrier, mais n’ai pas trop la tête à la fête. Peut-être est-ce parce que j’ai laissé mon vélo sur la plage à Las Palmas ?

Le port de Las Nieves offre une vue preciosa sur les falaises de Tamadaba. Ce décors est surréaliste. Les falaises tombent à pic dans la mer. Ce pourrait être un paysage digne de la Bretagne, mais les 30 degrés et l’air sec nous ramène vite à la réalité ! J’espère revenir fouler les sentiers que je vois dans la montagne. Comme souvent, les fêtes me lassent au bout d’un moment et la nuit vient de tomber. La fatigue ne me permet plus de bien communiquer en espagnol, donc je décide de rentrer. 

Merde, j’ai oublié un détail. Toutes mes affaires sont dans la voiture de Toni… Que j’ai perdu depuis bien deux heures. Si je l’attends, je risque de passer la nuit ici. Mais ce qui m’inquiète le plus c’est mon vélo sur la plage, à Las Palmas. N’ayant rien à perdre, je vais quand même vérifier que Toni et sa copine ne sont pas déjà rentrés au van. Ce n’est malheureusement pas le cas. Que ferai-je si j’avais une voiture, mais que je risquerai de perdre mes clefs (par ébriété ou dans la folie de la fête) ? Je laisserai sûrement mes clefs sur l’une des quatre roues. Bingo ! C’est exactement ce qu’ils avaient fait ! Mon sac sur le dos, je repris donc le chemin de l’arrêt de bus et pu rentrer rapidos à Las Palmas, retrouver mon doux étrier.

Mon séjour ici commence bien !

Deux micro-aventures à la voile

La marina n’est pas toujours le bon endroit pour rencontrer des marins. A Las Palmas, j’en rencontra deux par des moyens très différents. Le premier, Jean-Luc, je le croisai à la bibliothèque. Le second, Julien, par le biais d’amis jongleurs. Et j’ai eu la chance de partager deux aventures similaires, sur deux bateaux bien différents.

Le plus marrant avec Jean-Luc, c’est qu’il vient lui aussi de Grenoble et qu’il a travaillé dans tous les lycées où je suis passé (LGM et Champollion). Il est arrivé aux Canaries il y quelques années déjà avec le rêve de traverser. Mais ce rêve ne s’est pas encore réalisé, faute de trouver un équipage. Aussi peut-être grâce aux Canaries et à leur cadre de vie idéal : micro-climat bon toute l’année, coût de la vie très bas, la nature et la ville sont côte à côte.

Il me propose de partir naviguer avec lui. Le plan n’est pas précis, mais nous pourrions faire le tour de Gran Canaria à la voile. Ce serait bien bénéfique pour ma formation personnelle et me donne l’occasion de sympathiser avec un potentiel futur capitaine. Ainsi nous mettons les voiles vers Agaete. J’aurai donc la chance de revoir ses magnifiques falaises, mais depuis la mer cette fois. Mon vélo m’accompagnera, comme ça je suis autonome et je peux rentrer quand je le souhaite. Surtout je n’ai pas à le laisser dans la rue pendant une durée indéterminée.

Nous partirons tôt le matin pour profiter de conditions météo favorables. La distance à parcourir est très faible, mais nous avons 5 milles de près. Une allure peu confortable, à laquelle le bateau de Jean-Luc n’est pas très performant. D’autant plus que sa coque est assez sale. Le cap de la Isleta franchi, il ne reste que du portant pour rejoindre Agaete. Sans surprise, la traversée se passe bien. Jusqu’à l’entrée dans le port. Ici, Jean-Luc avait prévu de jeter l’ancre et de profiter du mouillage, mais vu la puissance du vent à ce moment, nous nous résignons à prendre ce risque. Par chance, il reste une petite place dans ce minuscule port de pêche. Après un jour de repos, je partirai deux jours dans la montagne, pour randonner. A mon retour, mon capitaine m’informe qu’il compte peut-être rester plus longtemps ici, et qu’il continuera le tour de l’île plus tard. Je décide donc de rentrer à vélo sur Las Palmas. S’il a besoin de moi, je reviendrai en bus. Sur la route, il y a plusieurs randonnées que j’aimerai bien faire. Ces dernières sont racontées un peu plus bas dans l’article.

En rentrant sur Las Palmas, j’irai dormir sur un autre bateau. Un bateau pirate ! L’Alcyone appartient en partie à Julien. Cela fait moins de deux ans qui l’a acquise avec d’autres potes dans le cadre d’un projet particulier. De faire voyager une troupe d’artiste et d’offrir des spectacles sur la route. Une fois le bateau acheté, ils ont passé quelques semaines à le remettre en état. Enfin, les Gentilhommes et Femmes de Fortune ont pris la mer en 2018 direction le Maroc. Ici, ils ont pu faire quelques spectacles, dans la rue et dans des écoles. L’accueil a été aussi chaleureux qu’il le fut pour moi. Ensuite ils prirent la direction des Canaries, une escale obligée pour le monde du spectacle, tant les îles sont habitées par des circassiens du monde entier. Après une tournée des îles bien intense, c’est à Las Palmas qu’Alcyone se reposait, avant de reprendre le large.

Alcyone et les copaings

J’ai eu la chance de rencontrer Julien qui m’a offert un excellent séjour à bord d’Alcyone. Avec cinq autres matelots, nous avons également navigué vers Agaete. Car un vieux ketch de 13m nécessite d’avoir de la main d’oeuvre pour la plupart des manœuvres. Ce fut aussi une belle aventure, associée à des rencontres intéressantes.

La culture hippie des Canaries

Changer le monde, changer le monde, vous êtes bien sympathiques, mais faudrait déjà vous levez le matin. je sais pas si vous êtes au courant mais le monde il vous attend pas. Le monde il bouge. Et il bouge vite. Vous allez pas tarder à rester sur le carreau, je vous le dis. Parce que là vous êtes en vacances, très bien. Mais à la rentrée… – On est pas en vacance. – OK admettons. vous avez pris une année sabbatique, très bien. Mais l’année prochaine. Vous avez pensé à ça : l’année prochaine ? C’est pas le monde qui va se plier à vos désirs les enfants. C’est pas 68 : « aller la jeunesse ». C’est pas comme ça que ça se passe. C’est le vrai monde dehors. Et le vrai monde il va chez coiffeur, déjà. Alors gnagnagna la guitare, les troubadours tout ça c’est fini.

Hubert Bonisseur de la Bath

Qui se cache derrière ce mot ? Quels idéaux ? Quel(s) mode(s) de vie ? Pourquoi sont-ils aux Canaries ? J’ai découvert à Grand Canarie un monde que je ne connaissais pas vraiment, mais avec lequel j’avais déjà des affinités. Les hippies des temps modernes ne sont pas si différents de leur ancêtres. Le mouvement commença au début des années 60 aux Etats-Unis, porté en grande partie par la jeunesse du baby boom de l’après guerre. Ces jeunes défendent surtout la paix et rejettent la société de consommation. Partageant des valeurs égalitaires et écologistes, les hippies sont aussi souvent contre le développement technologique auquel ils préfèrent les choses « naturelles » et parfois mystiques.

Ainsi je rencontrai des gens de tout âge, mais surtout des jeunes (moins de 30 ans), qui vivaient quasiment sans argent sur l’île de Grand Canarie. Aujourd’hui, je regrette un peu de ne pas avoir échangé plus longuement sur leur philosophie, leur mode de vie. Je peux néanmoins décrire ce que j’ai vécu et partagé avec ces gens là.

C’est par hasard que je rencontrai Superman. Il vient de Slovénie, et vit dans la rue depuis quelques années déjà. Chaque jour il suit un programme d’entraînement bien chargé. Musique, jonglage, développement physique, travail de l’équilibre et acrobaties rythment sa journée. Son but étant de s’améliorer dans ces spécialités là. Aussi trouve-t-il le temps de « travailler » au moins 2-3h par jour. Au semáforo (feu tricolore). Son show est bien rodé, mêlant jonglage de balles et danse hip-hop, il commence une fois le feu rouge et termine quelque seconde avant le passage au vert. Laissant juste le temps pour passer entre les voitures avec son chapeau. De quoi récupérer entre 5 et 10€. C’est sur la plage d’Alcaravaneras que nous nous rencontrâmes la première fois. Sa slackline était tendue entre les palmiers et je lui demandai si je pouvais l’essayer un petit peu. La seconde fois où nous nous croisions, il me propose une chambre dans le squat qu’il occupe en ce moment.

Une proposition que j’acceptai rapidement. Pour voir surtout. Des squats à Las Palmas, il y en a une floppée ! Celui-ci était en centre ville, pas loin de la Puntilla, sur la plage touristique de Las Canteras. Il était occupé par moins d’une dizaine de personne d’origine de l’Amérique du Nord, du Sud, d’Europe de l’ouest. Bref, un bon melting pot, majoritairement masculin. On ne peut pas dire que l’hygiène atteignait des sommets, mais nous avions tout de même l’électricité (pirate) et nous nous organisions pour récupérer de l’eau comme on pouvait. Les problèmes classiques de la vie en colocation n’épargnaient pas les squats : le nettoyage, la gestion des ordures, faire les courses, etc… Mais comme pour les colocs classiques cela dépend surtout des colocataires ! Ainsi, un autre squat que j’ai visité était bien mieux entretenu. Les gens qui y vivaient avaient aussi une plus grande expérience et plus de stabilité « professionnelle » que mes colocataires provisoires.

Bref, le plus intéressant dans cette histoire c’est comment nous faisions pour subvenir à un de nos besoins vitaux : la bouffe. Pour cela nous faisions du recyclage. Au cours de mon séjour, j’ai expérimenté plusieurs techniques de récupération de nourriture gratuite. En plus d’être économique ce geste permet d’éviter beaucoup de gaspillage alimentaire.

Kilo de nourriture gaspillé en pourcentage à chaque étape de la chaîne alimentaire

On voit sur la figure ci-dessus que l’on peut récupérer des aliments à plusieurs niveaux et qu’il ne faut pas nécessairement aller les chercher dans les poubelles. Même si cette méthode est en général la plus employée. A Las Palmas, nous allions donc visiter les containers des supermarchés en fin de journée pour y récupérer : des fruits et légumes, des produits laitiers et de la viande (conditionnée). Ces produits se retrouvaient à la benne à cause de leur date de péremption ou de leur état dégradé, mais ils étaient tous encore comestibles. C’est tout les jours la grande loterie car on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

Les poubelles des particuliers peuvent aussi contenir de belles surprises.

Pour ceux que cela rebute de plonger dans les bennes (l’expression anglaise est le dumpster diving), il existe aussi une méthode plus propre : demander directement aux restaurateurs leurs restes. En général, et comme pour les supermarchés, la plupart des boulangeries donnent déjà à des associations comme la croix rouge. Mais étant donné les grandes quantités qu’ils jettent et que la croix rouge a aussi du mal à écouler ses stocks, c’est une négociation assez facile. La plupart du temps, ces magasins vous demanderont de passer vers la fermeture pour récupérer ses restes.

Aujourd’hui il existe même des applications pour aider soit directement les consommateurs finaux ou les restaurateurs à écouler leurs invendus. C’est par exemple le cas de Phenix (courses anti-gaspi) ou de Too Good To Go. Ma seule expérience avec la seconde était au Danemark où nous avions profité d’un excellent brunch dans une boulangerie, pour un coût plutôt modique dans ce pays où les restaus sont chers.

Une grande partie du gaspillage ayant lieue dans nos frigos, il existe également des applications pour nous aider à mieux surveiller les produits en fin de vie. C’est le cas de A consommer ou Dans mon frigo. Je n’ai par contre aucun retour d’expérience personnelle à faire là dessus. Essayez vous verrez par vous même !

Au final, je me retrouvai assez bien dans certains aspects de la philosophie hippie, notamment le respect de la nature, l’anti-gaspi, la notion anti-conformisme du travail, la critique de la société de consommation. Je ferai un petit point dans un prochain article traitant des questions économiques sur notre rapport au travail (basé sur les travaux de Frédéric Lordon et Bernard Friot en particulier).

Mais il y avait aussi des points sombres qui m’attiraient un peu moins : le goût pour le chamanisme et certains trucs spirituels, l’inaction, le rejet de la technologie, les addictions et la violence. Pour ne pas m’étaler trop sur le sujet, je vais détailler certains des points précédents.

Parler d’inaction peut paraître un peu exagéré car leur boycott de la plupart des biens de consommation est une action en soit assez forte. Ce qui manque selon moi au mouvement c’est un peu de militantisme et d’actions « politiques », pour toucher plus de gens. Aussi les hippies que j’ai rencontré avaient pas mal de temps libre et l’occupaient malheureusement surtout à boire ou à fumer.

Bien sûr j’ai aussi rencontré des gens qui ne buvaient pas, mais ils sont en général marginaux. Peu de gens que je fréquentais consommaient des drogues dures mais beaucoup avaient déjà essayé. L’alcool reste selon moi le plus grand fléau, en parti car il est banalisé. Un sujet un peu tabou, chez les jeunes mais chez les vieux aussi je trouve, qui mériterait qu’on s’y attache un peu plus. Cela ne concernait pas que les hippies, mais aussi beaucoup de voyageurs, que je renommerai bien les néo-nomades. Cela correspondrait à des gens plutôt jeunes (23-35 ans) qui voyagent sur de longues durées (supérieures à 6 mois), mais travaillent aussi pour financer leur voyage. Les emplois (précaires ?) à la mode en ce moment sont surtout le woofing1, travail à la ferme (bio ou permaculture), ou dans le secteur du tourisme (tour guidé, auberge de jeunesse, etc).

Juste un court aparté à ce sujet. Je ne sais pas vraiment si je dois me réjouir de voir autant de néo-nomades. D’un côté, cette nouvelle m’égaie de rencontrer autant de gens, ouverts d’esprit, multi-lingues, qui prennent le temps de voyager, de découvrir, en soit d’expérimenter de nouvelles façons de vivre. De l’autre, c’est pour beaucoup l’occasion de faire la fête tous les jours et de procrastiner à l’infini. Et malgré la sensibilité, ou mode, végan présente chez beaucoup, ces personnes me semblaient complètement déconnectées de la réalité environnementale. En effet, le néo-nomade use en général abusivement de l’avion, il passe tout ses lendemains de « cuite » sur Netflix et contribue au tourisme de masse. Seuls les quelques sujets « à la mode » sont sur toutes les bouches : véganisme, zéro déchets, tiny house, bio/permaculture, etc… Bref, affaire à suivre, je vais sûrement en rencontrer d’autres sur ma route !

Revenons en à nos moutons alcoolisés.

Dans mes recherches sur ce sujet, je n’ai pas réussi à trouver des informations très précises sur la consommation des jeunes adultes. La plupart de ces dernières se focalisent sur la consommation des mineurs. Je ne pourrai donc pas confirmer ou infirmer mes observations du terrain, par contre sur le long terme on voit clairement une baisse (globale, mais encore plus chez les gros buveurs de français) de la consommation. A mon échelle, je voyais surtout une consommation régulière (quotidienne) d’au moins un litre de bière, dans un public de 20-30 ans.

Serait-ce la perte de repère de la jeunesse dans un monde qui atteint ses limites ? Les adultes aussi peuvent s’y perdre. Au moins lorsque l’on est saoul on oublie. On oublie l’absurdité du monde. Est-ce signe d’un malaise ou seulement la recherche de « fun » ?

Pour clôturer ce chapitre sur une note un peu plus gaie, j’aimerai aborder le thème du cirque et du spectacle de rue ! Car si j’aime peu associer la fête à l’alcool et autres déboires, l’esprit circassien est plus à même de me faire sourire.

Apparemment très présents en Amérique latine, les jongleurs et acrobates courent aussi les rues des Canaries. Et ils appartiennent eux aussi à la communauté hippie. Si cela peut être vu comme leur gagne pain, je peux vous assurer que c’est aussi et d’abord une passion. Certains sont plus clowns que d’autres. Mais derrière un numéro, si anodin soit-il, se cache des centaines, voire milliers, d’heures d’entraînement. Leur vie est aussi simple que leurs rêves sont grands. Mais ces artistes des rues ont de l’énergie et de la joie à revendre. Ils sont selon moi, des messagers d’espoir et de gaieté, qui offrent un accès à l’art au grand public. Merci à vous, clowns des rues !

Artistes et stoppeurs – la fine équipe

Superbes randonnées, mais forêt cramée

Sommet rime toujours avec randonnée ! Et Grand Canarie cache bien son jeu, car on oublie vite les montagnes avec la vie foisonnante et excitante de Las Palmas. Pourtant, une fois dans les barrancos (étroites vallées, canyons), on se retrouve complètement coupé de la civilisation. La nature est par endroit aussi sauvage qu’à Ténérife ou Fuerteventura. Pour cela, il faut oser s’aventurer hors des sentiers battus.

Agaete – La Aldea de San Nicolas

Tamadaba est un parc naturel de l’île, il surplombe Agaethe, caché derrière d’immenses falaises. Je décide de partir un à deux jours explorer ces sommets et peut-être revenir vers le centre de l’île. Un peu de nourriture et le minimum pour dormir dans le sac, je mets le cap vers les cimes. L’ascension se fait le long d’une arrête pour rejoindre ensuite la forêt calcinée. Le feu de la semaine passée est bien arrivé jusqu’aux portes d’Agaete… Du sol jusqu’au premiers mètres des troncs, le noir domine, puis le marron a pris le dessus sur le vert des aiguilles des pins. Une odeur de cendre dans l’air permettrait même à un aveugle de sentir le destin tragique de cette forêt. Depuis le parc, le cœur de l’île se dévoile. Les barrancos sont partout, l’île est plus montagneuse qu’elle ne le paraît et plusieurs roque (gros rochers) impressionnants se pavanent et me tentent de les observer d’un autre point de vue ! La descente est plutôt rapide et mène à une route secondaire, au pied du plateau de Acusa Verde. 

Il est alors environ une heure de l’aprem, et 18 km me sépare de San Nicolas. Quatre heures de stop sans succès…. Je commence à regretter Ténérife.

Heureusement les supérettes ferment tard (en géneral vers 22h), j’ai donc le temps de me ravitailler au village de San Nicolas avant de m’éloigner vers la montagne pour bivouaquer. À 21:30 je suis dans mon duvet, les mollets un peu fatigués… 

San Nicolas – Tejeda

Une nuit un peu fraîche, j’ai refait la même erreur qu’à Ténérife : partir seulement avec mon sac à viande ! Cette technique a l’avantage de ne pas me laisser traîner au lit le matin ! Cette nuit, le thermomètre a du descendre jusqu’à 7-10 degC. Aujourd’hui j’aimerai traverser les montagnes d’Inagua, mais mon tracé n’est pas définitif. Je grimperai jusqu’à Degollada (col) de la Brujas puis suivrai la route des crêtes, enchaînant les sommets (lorsque le sentier y passait) : Las Yescas, Sandra, Morro de la Negra, Los Jarones. Au milieux, au sommet de Sandra, je rencontrerai un guetteur de feu. Sûrement un bomberos. Nous discuterons pendant mon déjeuner, et il me proposera un itinéraire jusqu’à la route. J’apprendrai que la zone que j’ai traversé est en réalité interdite, car zone de conservation. Je n’aurai croisé que des chèvres en effet… Le pompier ne pense pas que je risque une amende car la réserve est très mal indiquée depuis San Nicolas. 

Mes jambes sont un peu fatiguées des 50 km de la veille. Je serai donc assez lent sur cette seconde partie. Quelques minutes avant d’arriver sur la route, je vois un bus passer ! La bonne nouvelle c’est qu’il y en a, la mauvaise est que j’ai raté celui la… 

Deux heures plus tard toujours pas de bus, et le stop ne fonctionne pas…  je vais donc marcher jusqu’à Tejeda (environ 6km). 

Arrivé vers 20h là bas, on m’indique que les prochains bus passent le lendemain matin, je dormirai donc sur place, au pied de l’arrêt de bus pour ne pas le rater…

Pour retourner à Agaete, c’est l’aventure. Il n’y pas vraiment de liaison directe, je devrais donc repasser par… Las Palmas ! Départ de Tejeda à 7h, arrivée à 10h30 au port pour faire les 42 km qui sépare les deux villes (à cause du détour). Heureusement que j’avais ma liseuse avec moi !

Vélo rando – Roque Nublo

D’Agaete, je décide de rentrer sur Las Palmas à vélo en passant par le sommet de l’île : Pico de las Nieves. Comme à Ténérife, il y a des zonas de acampada ici aussi. On peut y passer la nuit en réservant sur Internet. A cause de l’incendie elles sont pour la plupart fermées. N’ayant pas d’autres endroits pour dormir j’y passerai néanmoins deux nuits. J’ai choisi Llanos Del Salado pour dormir, à 50 km, 1800 m plus haut que le niveau de la mer.

La route est peu empruntée et elle est superbe. Les vues plongeantes dans les barrancos sont impressionnantes. Le vent, toujours présent dans les Canaries, rafraîchit bien l’air ambiant. Mais la chaleur influe tout de même sur ma consommation d’eau, que j’ai terminé à mi-course. Par chance, je croise une source d’eau « commerciale ». Un peu avant Juncalillo, se trouve l’entreprise qui met en bouteille l’eau d’Aguacana. Au culot, je sonne à l’interphone. C’est avec un grand sourire qu’une employée m’amène généreusement deux grandes bouteilles d’eau bien fraîche ! C’est dans les moments comme cela que tous mes espoirs d’un monde meilleur et plus solidaire s’émoustillent.

C’est bien hydraté que je reprendrai la route. Plusieurs fois, je croise le chemin d’une forêt calcinée. Les ravages de l’incendie sont omniprésents.

Cruz de Tejeda est un noeud de circulation, là, c’est le choc touristique ! Plusieurs bus sont garés sur le bord de la route, au croisement et à plusieurs points panoramiques. Vivement que j’arrive au camp !

Sans surprise, je passerai la nuit seul. Les interdictions ont du bon !

Le lendemain, je laisserai le vélo à une sorte de camp de loisir à Llanos de la Pez, avant d’entamer une longue journée de rando. Au programme : l’ascension du classique Roque Nublo, puis rejoindre San Bartolomé de Tirajana, pour rentrer par Pico de las Nieves. Optimiste mais jouable !

Comme je vois que vos yeux sont fatigués par cette lecture longue et fastidieuse je vais laisser parler les images !

Pour conclure, c’était une superbe rando ! Malgré une fin sans eau un peu difficile ; et l’orientation bien compliquée sur la dernière partie. Aussi ai-je délaissé le Pico de Las Nieves avec ses antennes, pour le Pico de la Catedral.

Moins de voitures, moins d’incendies ?

Comme toujours, j’aime clôturer mes article par le point mobilité ! C’est plus un exercice d’analyse perso qu’une lecture que je souhaite partager, mais libre à vous de le parcourir !

La géographie particulière de l’île impacte nécessairement les déplacements de ses habitants et l’offre de mobilité. Or Grand Canarie est beaucoup plus vallonnée que les autres îles visitées. Mais la majorité de sa population habite sur la côte, la côte est, puis sud. Et cette partie est plutôt plate. C’est triste, du moins pour moi, de voir une triple voie automobile sur une île qui compte moins d’un million d’habitants. Ce littoral plat est idéal pour construire un train par exemple… Qui a d’ailleurs existé jusqu’en 1944 ! Un projet est en attente pour reconstruire une ligne de Las Palmas à Puerto de la Luz. Annoncé en 2004, les fondations n’ont pas encore vu le jour faute de financement… En lisant entre les lignes, on comprend vite que c’est par manque de volonté politique (+ sûrement un peu de lobbying).

Densité de la population de Grand Canarie
Le petit train côtier
Réseau de bus

Pour le moment, la côte et les terres sont assez bien couvertes par le réseau de bus local. Le maillage est plutôt complet, mais les horaires sont adaptés à une faible demande et une faible densité de population. Si les touristes étaient plus aptes à prendre les transports en commun, et s’ils étaient mieux informés, je pense que la cadence des bus pourraient être nettement augmentée.

Si le centre de Las Palmas est plutôt bien équipé en piste cyclables, ces dernières s’arrêtent une fois sorti de la ville. Impossible donc de rejoindre les autres « grandes » villes autrement qu’en… empruntant l’autoroute ! Il n’y a donc PAS d’alternative à la voiture offerte par la ville. Un bon point cependant, il est possible de mettre son vélo dans les coffres des bus (comme ils sont souvent vides).

Réseau cyclable de Las Palmas

Quelles solutions ?

Comme la voiture est très présente sur l’île, des aires d’autostop ou de covoiturage pourraient être facilement déployées. Je suis sûr que le covoiturage informel (avec les voisins ou la famille) existe déjà. Mais des aires réservées, inciteraient plus les automobilistes à prendre des gens.

En attendant le train, voir même en remplacement de ce dernier, un Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) pourrait occuper la côte du sud à l’est. Pour cela, une voie réservée serait mise à disposition et la cadence de passage serait élevée pendant les heures de pointe.

Enfin, une des premières mesures à discuter, c’est la taxation des carburants ! L’essence et le gasoil sont tous les deux soit détaxés (je suis pas sûr) soit taxés mais très avantageusement. Si bien que ce critère influe beaucoup le choix des usagers.

Le tourisme, qui représente une part important du PIB canarien, pourrait aider beaucoup au développement de l’infrastructure de transport en commun et cyclable. Encore faut-il axer la politique touristique dans cette direction là : informer au mieux les visiteurs des itinéraires cyclables, des agences de location de vélo, du réseau de transport, etc…

C’est dommage de visiter des contrées si jolies et sauvage mais l’où on ne prend absolument pas soin de son environnement. Aussi la conscience écologique ici est inexistante. C’est ce qui m’a le plus frappé lors de mon séjour. Plusieurs incendies ont bien ravagé l’île devant les regards impuissants des locaux. Mais aucun d’entre eux n’a fait le rapprochement, possible, entre l’utilisation de leur voiture et la destruction de tout ces hectares…

Hissé oh

Pour conclure cette partie, je vais parler rapidement de ma traversée. D’abord, j’écris en ce moment notre aventure sous forme d’un livre, car c’est un format qui me semble plus adapté qu’un article de blog.

Comme prévu, j’ai rejoint l’Amérique du Sud, en voilier ! Ce qui n’était pas prévu par contre, c’est que je traverse à bord de mon propre voilier. Je m’explique.

L’attente longue à Las Palmas et l’afflux massif de bateau-stoppeurs, laisse le temps aux projets les plus fous de se développer. Au cours d’une discussion avec deux copains, l’un d’eux proposa que l’on s’achète un bateau pour traverser. Un projet qui me bottait bien ! Quelques jours plus tard, nous avions acheter un voilier et commencions à le préparer !

La suite, au prochain épisode !

[ES] Une féministe nomade

Temps de lecture / Reading time: 6 minutes

Les routes des voyageurs se croisent souvent au bon moment ! C’est à Gran Canaria que je rencontra Yesenia, qui a rejoint le Népal, seule, à vélo depuis les Canaries. Voici son histoire (pour celles·ceux qui ne parlent pas espagnol, le texte en français est retranscrit ci-dessous).

Peux-tu te présenter en une minute?

Je suis Yesenia, j’ai trente deux ans. Originaire des îles Canaries, je voyage à vélo depuis deux ans et demi. J’ai commencé à parcourir les îles à vélo, puis j’ai pris un bateau pour Huelva, dans le sud de l’Espagne. Ce voyage m’a emmenée jusqu’au Népal.

Ton projet est-ce juste un voyage à vélo ou tu as un objectif précis ?

Le vélo est comme un outil. C’est un objet qui offre beaucoup de possibilités : un voyage durable, un voyage peu consumériste, un voyage qui vous donne de la liberté. Mais mon voyage, c’est un voyage avec une perspective de genre, d’autonomisation. Je suis une personne féministe et je crois que tout le monde devrait l’être. Je me concentre sur les femmes que je croise en cours de route parce que je suis intéressée par la réalité des femmes locales. Je souhaite également inspirer ou aider d’autres femmes qui veulent voyager seules mais n’osent pas. Alors, à travers les réseaux sociaux et mon blog, j’essaie de partager mon expérience, ce dont beaucoup de femmes ont besoin pour franchir le pas et voyager seules.

Pourquoi défends-tu le féminisme?

Le féminisme, c’est la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est la lutte pour nous (les femmes NDLR) considérer comme des êtres humains. Nous vivons dans un monde patriarcal. En effet, toutes les sociétés du monde sont patriarcales d’une manière ou d’une autre. Rappelons-nous que patriarcat se produit lorsque le pouvoir religieux, politique, social et économique est entre les mains de la moitié de la population, composée d’hommes dans ce cas. Et que cette moitié soumet l’autre moitié de la population qui sont des femmes. C’est cela le patriarcat. Le féminisme est donc radical, et lutte spécifiquement pour détruire le patriarcat. Le problème du sexisme, du machisme, des inégalités se situe dans le système lui-même, appelé patriarcat. Si on y met fin, on met fin au problème.

Au cours de ton voyage, as-tu constaté de nombreuse différence concernant la position des femmes des pays traversés?

Bien sûr. Rappelons-nous, comme je l’ai dit précédemment, que chaque société patriarcale a une intensité et une forme différentes. Être une femme au Portugal n’est pas la même chose qu’être une femme en Iran ou être une femme en Espagne que d’être une femme au Népal. Parfois, les femmes ont fini par obtenir des droits dans certains pays et dans d’autres non. Donc, quelquefois, vous rencontrez des situations très difficiles car malgré que je vienne d’Espagne, une société dans laquelle il y a beaucoup de machisme, nous avons quand même accordé des droits à ma génération, mais pas à celle de ma mère. Alors que certains pays visités, j’ai vu des situations dans lesquelles les femmes ont des droits similaires à ceux de ma mère ou de ma grand-mère en Espagne et c’est pourquoi c’est assez frustrant et assez dur. Mais chaque pays et culture a besoin de son propre processus et nous ne pouvons pas venir (d’Occident NDLR) implanter nos idées, mais simplement écouter, étudier et découvrir comment vivent les femmes d’autres cultures et d’autres pays.

Avais-tu des préjugés sur la situation des femmes dans un pays avant votre départ, mais cela s’est avéré inexact ?

Oui, par exemple, j’avais des préjugés sur l’Iran, où il y a beaucoup de désinformation. Les médias parlent de l’Iran comme un pays islamique, ce qui est vrai, mais aussi que c’est un pay terroriste où les femmes sont soumise. C’était un préjugé car bien que que l’Iran ait un gouvernement islamique pratiquant la charia, et que les femmes vivent dans des situations très inégales, ce qui est très grave, la société transgresse les lois et il y a des femmes en Iran avec un esprit très ouvert qui veulent changer. Elles sont très combattantes et revendicatives. C’est l’exemple le plus significatif d’un préjugé que j’avais auparavant.

Selon toi, comment pouvons-nous donner aux femmes la place qu’elles méritent dans la société?

Pour commencer, les femmes doivent se reconnaître en tant que féministes et faire un travail d’introspection et de déconstruction. Nous sommes machistes parce que la culture elle-même est machiste. Il est parfois difficile de réaliser qu’une situation est machiste car beaucoup ont été normalisées. Et puis dire non, ce n’est pas normal ! Ce n’est pas normal que j’accepte le fait qu’ils me harcèlent dans la rue, que je gagne moins au travail, que mon partenaire ou mon mari ne nettoie pas les toilettes à la maison. Dans la société masculine, il y a aussi beaucoup de changements à faire. D’abord, ils doivent écouter plus les femmes et ils doivent accepter le fait qu’ils vivent avec des privilèges. Je sais qu’il est difficile de réaliser que les femmes sont dans une situation inégale car les hommes ne souffrent pas du machisme. Parce que c’est les hommes sont du côté du « pouvoir », c’est la partie oppressante. Le racisme est similaire au machisme, entre un blanc et un noir par exemple. Une personne « racialisée » comme une personne noire vit une série d’oppressions que nous, les blancs, ne pourrons jamais comprendre parce que nous ne sommes pas noirs. Donc, nous ne pouvons pas supposer que la personne noire est libre. Nous devrons écouter la personne noire pour savoir ce qu’elle ressent. C’est pareil ici, les hommes doivent écouter les femmes : leur cousine, leurs sœurs, leurs amies. Demandez-nous ce que vous pouvez faire. Entre hommes aussi : ne permettez pas et ne soutenez pas une blague sexiste avec un ami, ne partagez pas les images de femmes nues sans consentement. Par exemple: « regarde c’est la fille avec qui j’ai passé de la nuit dernière ». Ce n’est pas possible. Vous pouvez renoncer, empêcher ce genre de comportement.

Ces actions que tu proposes, sont-elles différentes entre pays « développés » et « en développement » ?

Pour moi, le développement n’est pas un facteur contribuant au féminisme, mais la culture oui. Il y a des cultures et des religions très fortes, qui contribuent à un système patriarcal important. Par ailleurs, chaque culture a son rythme, mais les changements seront « révolutionnaires », sinon il n’y aura pas de changement. Le droit ne sera pas donné, nous devons nous battre pour l’obtenir. Dans aucune lutte, il ne sera obtenu pacifiquement ou parce que l’oppresseur en a décidé ainsi. Le combat se gagne par la lutte. Alors, l’Inde aura son propre processus, l’Iran aura son propre processus. Les femmes iraniennes seront les seules à décider de la manière dont elles peuvent changer leur situation. De même que les femmes espagnoles décident en ce moment comment elles pourraient créer une société plus égalitaire.

Il est possible que les femmes aient également un « rôle à jouer » dans la résolution du problème du changement climatique. Il y a un économiste français, Gaël Giraud, qui a déclaré :

J’espère qu’elles [les femmes] vont nous sauver car la plupart ont un rapport au monde beaucoup plus sain que beaucoup d’hommes. Reléguées depuis des centaines d’années dans des rôles subalternes et domestiques, elles ont déployé une sensibilité au soin des autres, aux plus vulnérables. J’espère que la prise de pouvoir social progressive des femmes va nous permettre d’éviter de faire d’énormes bêtises.

Gael Giraud

Que penses-tu de cette citation ?

Je pense que cela peut être mal interprété. Les femmes ont appris à être des mères affectueuses, bienveillantes et aimables. Mais ce sont des rôles que la société nous a dictées. Les hommes, eux, ont appris à être forts, courageux, à combattre, à ne pas montrer leurs sentiments. Ensuite, bien sûr, il est plus facile pour les femmes de prendre soin des autres. C’est pourquoi nous (les femmes NDLR) pouvons ressentir plus de sympathie envers les animaux ou la nature. L’écoféminisme défend le fait que le soin donné à la nature est un investissement dont on récolte les fruits. Les hommes doivent évoluer dans ces croyance de la vie que ce système capitaliste nous imposent. Nous devons prendre soin de nous-mêmes et de ceux qui nous entourent. Nous devons prendre soin de la nature, nous devons nous occuper des animaux, nous devons être gentils. Nous ne pouvons pas détruire pour notre avantage. Donc, c’est un peu que l’idée qu’il ne suffit pas de construire des choses uniquement pour notre propre intérêt. C’est l’idée d’une vie en communauté. C’est pourquoi les femmes ont plus de facilité à comprendre ces choses. Parce que nous croyons que la nature fait partie de nous et que nous devons en prendre soin. C’est valide pour les hommes aussi, même s’ils n’ont pas appris à « prendre soin des autres ». Les hommes peuvent le faire. Les hommes doivent évoluer dans cette direction, parce que sinon, il y aura toujours des inégalités.

Pour conclure, le vélo est-il un bon moyen d’émancipation pour les femmes?

Le vélo c’est pour moi la métaphore la plus exacte de la libération des femmes. Parce que vous conduisez, vous prenez le contrôle de votre vie métaphoriquement. La vie ne nous a appris que nous ne pouvons pas prendre le contrôle, que c’est l’homme qui a le contrôle : de la vie, du travail, de la maison. Nous sommes en parti dépendante parce que nous ne savons pas comment entreprendre. Mais en vélo vous pouvez rouler à votre guise, tourner à droite. Si vous voulez freiner, vous freinez. Donc, le vélo donne une grande liberté. De plus, nous sommes en sécurité. Je pense que si vous voulez échapper à une situation indésirable, le faire à pied serait très lent, partir en voiture peut être difficile, prendre un bus remplit d’hommes peut s’avérer dangereux. Alors que en vélo, vous pouvez quitter cet endroit facilement. C’est une façon de prendre soin de la nature aussi, c’est une façon de s’opposer au système consumériste et capitaliste. Vous ne dépensez pas, vous ne détruisez rien. Je crois que la bicyclette permet d’en finir avec le système dans lequel nous sommes habitués à vivre. Donc bien sûr, le vélo aide. Par exemple dans les pays, comme l’Inde, le Népal, où les ressources économiques sont moins importantes, le vélo aide les femmes à se rendre sur leur lieu de travail. Aussi, cet outil leur permet de ne pas dépendre de leurs maris, à qui le véhicule familial appartient en général. Ensuite, avec le vélo, elles peuvent être libres de se déplacer. Alors bien sûr, le vélo aide beaucoup à l’émancipation et à l’autonomisation des femmes.

Après réflexion, place à l’action

Temps de lecture / Reading time: 22 minutes

Les solutions au dérèglement climatique sont nombreuses, et la plupart peuvent être mises en œuvre dès maintenant. Cet article fait échos à une note d’analyse publiée par Carbone4 il y a quelques mois. Son titre est assez évocateur « Faire sa part » ; je vous encourage lire ces 20 petites pages (très digestes). Face à l’ambiance morose et au catastrophisme, l’heure n’est pas à l’immobilisme ou au pessimisme mais bel et bien à l’action ! Action qui soulève souvent les questions suivantes :

  • Que puis-je faire à mon échelle ? En tant que citoyen, chef d’entreprise, salarié, membre d’association, parent, …
  • Est-ce que les actions individuelles ont un impact ?
  • L’impact, si grand soit-il, ne changera rien aux émissions des grands pollueurs étrangers (Chine, États Unis, Émirats) ?
  • La transition écologique est injuste, l’état n’est bon qu’à inventer de nouvelles taxes. Pourquoi devrais-je les payer ?
  • La plupart des solutions restreignent mes libertés pour un résultat presque nul…

Cet article essaie de répondre en partie à ces interrogations ! La lecture du texte d’intro (concernant les « problèmes ») n’est pas pré-requise mais peut aider à la compréhension. Attention spoiler 1 : les dîners entre amis avec du homard ne font pas partis des solutions (quoique c’est un repas bas carbone…). L’idée ici est celle de la proposition et non d’un jugement moral quel qu’il soit. Cette réflexion fait suite à un constat personnel : il faudra chacun faire des efforts à notre échelle et remettre en question nos habitudes. Le changement individuel peut être choisi ou il risque, malheureusement, d’être subi.

Le jugement, de honte ou de fierté, peuvent jouer un rôle dans ce changement. Malheureusement, culpabiliser n’aidera pas. En plus de cela, plusieurs verrous psychologiques ne nous aident pas à changer. Alors comment faire ? Comment entrer dans un cercle vertueux de l’action et de solidarité ? Car oui, le changement doit permettre de résoudre la fin d’un monde et les fins de mois difficiles. Les plus touchés étant aussi les plus pauvres et les plus isolés.

Évolution de l’empreinte de 2017 à 2050

La neutralité carbone à horizon 2050 se traduit par une diminution du budget carbone des français. De 10,8 tCO2eq, nos émissions brutes doivent diminuer jusqu’à 2 tCO2eq (proche de l’empreinte d’un indien). Ce chiffre correspond à l’empreinte et comprend donc les émissions relatives aux produits importés (smartphone, agriculture, etc). Le français moyen, dont il sera question, et ses émissions « sectorielles » associées, n’existe pas vraiment en réalité. Le cadre urbain use peu sa voiture mais prend souvent l’avion alors qu’un technicien habitant en zone rurale aura un budget carbone voiture plus important (mais un « budget » avion moindre) en caricaturant.

Empreinte d’un francais en 2017 VS empreinte cible de l’accord de Paris (source : Carbone4 – Faire sa part)

Cet article veut aussi montrer que certaines actions sont plus efficaces que d’autres pour réduire son empreinte, et elles ne sont pas si intuitives ! Par manque de temps face à la menace climatique et par nécessité de devoir réduire drastiquement nos émissions, les solutions choisies doivent être finement analysées sous un critère « kilos de CO2 évités par rapport à la rapidité/facilité de mise en oeuvre de la solution ».

Tout le monde peut (et doit) agir !

C’est une des conclusions de la note d’analyse ! Quelque que soit l’échelle (individuelle ou collective), des actions particulières ont un impact significatif sur notre empreinte carbone. Il n’y a donc aucune raison de rester les bras croisés !

L’autre conclusion de la note est tout aussi importante : l’action individuelle est nécessaire mais pas suffisante. C’est-à-dire que pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, des actions collectives (de l’État, la collectivité ou le secteur privé) doivent aussi être entreprises mais sans l’action individuelle, les objectifs de Paris risquent aussi de ne pas être atteints. La raison est intuitive, individuellement nous avons peu de pouvoir sur les choix du mix électrique français ou sur le plan d’urbanisme de notre ville. Par contre, je crois personnellement que les citoyens ont le pouvoir d’envoyer des signaux forts aux hommes politiques. Les citoyens, malgré le poids modéré de leurs actions individuelles, ont aussi un grand pouvoir pour faire bouger le politique (d’abord à une échelle locale, puis, éventuellement, régionale). Les gilets jaunes en sont un exemple : un mouvement qui pose de bonnes questions sur la démocratie au détriment d’une mauvaise direction pour le climat.

Plan de l’étude

La note d’analyse « Faire sa part » est rédigée par un cabinet de conseil en bilan carbone. Son but est de montrer quelle part du budget carbone peut être réduit par des actions individuelles et ce qui resterait pour le compte des « collectivités » (État, entreprises, régions, etc…). Le découpage précis se fait en trois parties :

  • Actions individuelles « sans investissement » (gratuite ou au coût faible)
  • Actions individuelles « avec investissement » (pour deux cas : achat véhicule électrique et rénovation « énergétique » de l’habitat)
  • Actions collectives (pour les entreprises et l’État)

Les entreprises doivent se focaliser sur la décarbonation de leur chaîne de valeur (peu d’exemples concrets sont donnés dans la note, mais je donnerai des pistes d’actions plus bas). L’État a lui un rôle encore plus important. En effet, il a le pouvoir : de flécher les investissements vers des solutions décarbonées, d’agir au niveau international (méthode des quotas, taxe carbone, etc…), décarboner les services publics (qui représentent une part non négligeable de l’empreinte individuelle).

Dans cet article je me focaliserai essentiellement sur les actions individuelles « sans investissement », car elles sont celles à la portée de tous.

Deux « profils type » de citoyen sont étudiés : un profil moyen et un profil « héroïque ». Le second est caractérisé par des actions individuelles plus fortes, qui peuvent être considérées comme « extrêmes ». Même en adoptant toutes les actions individuelles héroïques (avec investissement) , il resterait 4 tCO2eq à éliminer pour respecter l’accord de Paris (sous la « responsabilité » des acteurs collectifs). Le profil moyen est plus « réaliste » car nous ne sommes pas tous prêts à faire les mêmes efforts (dans de rares cas les actions proposées sont difficilement réalisables).

Causes de l’inaction

Les causes de l’inaction sont nombreuses et variées (et durent depuis maintenant 30 ans…). Or, plus l’on tarde à agir et plus l’effort à fournir sera grand ! Un essai 2 analyse les différences de perception chez les québécois, qui pensent agir beaucoup en faveur du climat, alors qu’il leurs reste une bonne marge de manoeuvre. Ce rapport propose quelques freins psychologiques au changement d’attitude/habitude :

  1. une compréhension superficielle du sujet au niveau : des causes, des conséquences et des solutions. Or pour bien agir et cibler au mieux des actions efficaces, mieux vaut connaître le sujet. Ce rapport datant de 2009, on peut espérer que la connaissance générale s’est améliorée. Concernant les solutions malheureusement, j’entends assez souvent des choses erronnées ou simplistes…
  2. des impacts non-ressentis, lointains temporellement et spatialement. La distinction est importante entre climat et météo. Le premier mesure les évolutions atmosphériques et météorologiques à l’échelle de la planète sur des durées longues (quelques dizaines d’année), alors que le second se contente de mesurer l’évolution des mêmes paramètres (mas o menos) à l’échelle d’un pays sur une journée voire une semaine.
  3. l’action goutte d’eau : les émissions francaises correspondent à moins de 2% des émissions mondiales. Donc l’action d’un individu, en France, aurait un impact minime. Ce serait sans doute vrai si les notions de mimétisme et d’exemplarité n’existaient pas. Nous avons tendance à adopter des comportements proches de ceux qui nous entoure, l’exemplarité ajoute à cela le sentiment de fierté (plus efficace que la honte ou la critique directe).
  4. l’injustice du sacrifice : les changements d’habitude proposés se feraient au dépend d’un certain confort et donc sont synonymes de sacrifice. Dans ce cas, si une personne le fait mais pas l’autre, le sentiment d’injustice est ressenti.
  5. la résolution du problème par lui-même : grâce aux progrès technologiques.
  6. le déni : est malheureusement toujours d’actualité et concerne paradoxalement les plus jeunes en France [enf_note] Les Français sont-ils prêts à changer pour sauver la planète ?, consulté en 09/2019 [/efn_note], « avec 36% des 18-24 ans qui se déclarent climatosceptiques ».

Il y a donc un gros travail explicatif, de la part des médias, et de recherche d’information, de la part des citoyens, à effectuer. Une caractéristique bien francaise est de râler contre toute proposition, là où il serait bien plus constructif de dialoguer et de débattre. Le dernier exemple en date avec les gilets jaunes : la taxe sur le carburant est bien nécessaire mais pour la rendre acceptable il aurait fallu (ou il faudra) montrer qu’elle est bien redistribuée ! Ce dialogue peut se faire en famille, au boulot ou via les réseaux sociaux. C’est certainement la première action à effectuer (gratuite, uniquement chronophage), et peut-être la plus efficace. Des débats seront de toute facon nécessaires dans le futur, sur des thèmes variés comme : le mix énergétique (nucléaire ?), l’aménagement des villes et des territoires, l’agriculture (coucou glyphosate), notre assiette, et j’en passe ! Cependant pour bien combattre certaines idées reçues et autres dogmes, une approche analytique précise, complète et rigoureuse doit être suivie. Les sciences (molles et dures) sont nos meilleures conseillères sur ces questions.

Aux freins 2,3 et 4 s’ajoute aussi un problème « d’action-récompense » retardé. Si certaines actions de changement sont considérées comme sacrifice, le fait d’obtenir une récompense en échange rend l’action plus désirable. Néanmois la longue durée de vie des GES dans l’atmosphère et l’inertie climatique font que seulement des changements consistents dans le temps et l’espace, mais aussi appliqués sur une longue durée (10-20 ans) auront un effet significatif. La « récompense » d’une planète vivable serait alors obtenue un certain temps après les premières actions efficaces. Ce problème soulève une question intéressante : comment valoriser les récompenses immédiates (et les bénéfices de long terme) d’une action particulière ? L’action goutte d’eau et l’injustice du sacrifice sont deux sentiments qui peuvent être réduit par la force du groupe, qu’il soit familial, amical, associatif ou au sein d’une entreprise. Plusieurs associations existent en France, de mon côté je suis (de loin) ce que fait le Shift Project. Plusieurs projets de « soutien collectif aux actions individuelles » fleurissent ici et là. Par exemple, un camarade de promo aide à soutenir les gestes individuels à travers un réseau social : Reebels. Charbel détaille bien l’idée et son cheminement dans cette vidéo.

Concernant les solutions technologiques, elles seront certainement nécessaires mais loin d’être suffisantes. L’exemple de la voiture électrique illustre parfaitement mes propos : l’air sera plus propre en ville, mais le niveau émission de CO2 durant le cycle de vie du véhicule n’est que légèrement inférieur à un véhicule essence. Il est donc indispensable d’améliorer le taux de remplissage des voitures (scandaleusement bas en France : 1,3 personnes par trajet court), sans attendre d’avoir converti la flotte francaise à l’électrique (voire à l’hydrogène ?). Mais il est plus facile de rêver de nouvelles technologies que de changer nos comportements !

Maintenant les causes de l’inaction décrites, voyons où se situent nos dépenses en carbone !

Focus sur les postes les plus émetteurs

Les bilans carbone permettent d’identifier les secteurs les plus émetteurs. Ce constat est nécessaire pour identifier correctement les actions les plus pertinentes. Dans cette partie, nous regarderons le graphique ci-dessous. Il donne un ordre de grandeur plutôt proche des calculs du gouvernement s’élevant à 11,9 t éq CO2/an.

Il faut garder à l’esprit que ce graphique montre des valeurs moyennes, certains individus auront bien entendu des « dépenses » plus élevées pour l’avion ou plus basse si alimentation végétarienne.

L’article associée à ce (superbe) graphique vaut la peine d’être lu (comptez 5 bonnes minutes), les plus courageu·ses·x pourront jeter un oeil aux données recueillies.

Détail des postes d’émission dans l’empreinte carbone d’un français en 2015 (en kgCO2eq)

Pour ma part, surtout deux postes m’intéressent ici : la voiture et l’énergie du logement. Ces deux gagnants du concours d’émission montrent bien que l’action individuelle (je réduis mes déplacements en voiture) et collective (mix énergétique et isolation des passoires thermiques) sont tout deux non négligeables (presque 30% de l’empreinte). Notons aussi que les dépenses carbone des services publics sont assez importantes !

Avec ces chiffres en tête, regardons maintenant les actions proposées par Carbone4.

Top 5 des actions à fort impact

Pour commencer, voici la liste des actions dont l’impact a été étudié :

Actions individuelles choisies et hypothèses associées (source : Carbone4)

Cette liste comporte aussi bien des « petits gestes » que des initiatives plus contraignantes. Ces actions « emblématiques » ont été, certainement, choisies car elles sont reconnues comme ayant une influence positive sur la diminution des émissions. Je pense que ce sont aussi des actes qu’une majorité des français·es peuvent réaliser.

Selon vous, qui occupe le podium des actions ayant le plus d’impact ?

Avant de présenter le podium, j’aimerai vous montrer les résultats d’un sondage sur le sujet. Réalisé par Opinion Way en mars 2019 3, il cherche à répondre à la question suivante : « Les Français sont-ils prêts à changer pour la planète ?« . D’abord, une majorité de francais pensent que « seule la contrainte législative est efficace pour réussir la transition énergétique ». La question n’est pas tout à fait similaire à la problématique posée ici et la nuance dans les réponses à un sondage est difficile à partager… Mais tout de même, 62% des interrogés soutiennent cette idée. La seconde question est assez maladroite, car il n’est pas possible d’inverser le cours du réchauffement climatique… Et la réponse à la dernière question se veut rassurante !

Êtes-vous d’accord ou non avec les affirmations suivantes ? – Sondage OpinionWay

La seconde partie du sondage est plus intéressante et correspond mieux au sujet exposé ici. On retrouve une partie des actions listées par Carbone4. L’alimentation et la consommation en sortent victorieuses même si une attache « culturelle » à la viande ressort également. Malgré un bon score des déplacements « doux » (marche et vélo), le transport est plutôt négligé. Il semblerait, et c’est normal, que les efforts les moins contraignants occupent les meilleures places. Enfin, une petite bande d’irréductibles Gaulois n’est pas vraiment prête à faire des efforts !

Quels efforts êtes-vous personnellement prêt à consentir pour préserver
l’environnement et inverser efficacement le réchauffement climatique ? – Sondage OpinionWay

Ceci étant dit, passons au résultat de l’étude d’impact :

Montant des réductions de CO2 par geste individuel (sources Carbone4)

Suprenamment, le régime végératien occupe la première place, suivit de près par les mesures liées au transport et enfin la « consommation » de vêtements ! En effet, l’alimentation représentait un poste important d’émission dans le bilan du francais moyen, mais moins que la voiture. En revanche, et le sondage le suggère, les francais ne sont pas prêts à tant d’effort sur les transports, donc les hypothèses de l’étude sur ce sujet étaient assez conservatrices (sauf pour l’avion). Les données sur le régime végétarien sont bien documentées et le calcul est « assez aisé », de plus, cette action à elle seule, permet d’économiser plus que les trois actions des transports. Elle est donc « facile » à mettre en oeuvre, une fois le barrage culturel franchit ! Deux nuances cependant sur ce régime (que je ne pratique pas). Toutes les viandes ne se valent pas niveau émission : le boeuf est de loin la pire, suivit du cochon puis du poulet. Donc si vous ne pouvez pas vous passer de viande, réduire votre consommation de boeuf aura déjà un effet significatif (selon le graphique ci-dessous, un régime sans viande rouge serait même moins émetteur qu’un régime végétarien) ! Ensuite, un récent article scientifique (décrit dans Le Monde) suggère qu’un régime de 2 repas sur 3 végétaliens (sans viande ni produit laitier) et 1 sur 3 omnivore serait plus efficace qu’un régime végétarien (c’est plus proche de mon régime actuel). Ce régime peut par contre être plus difficile à mettre en oeuvre.

Émissions moyennes françaises de CO2 par personne et par an en kg éq CO2 (Source – Le Monde)

« Consommer local » râte d’une place le top 5 mais reste une action à fort impact, elle est en plus bien classées dans le sondage (reste le passage à l’acte !). Le zéro déchet, qui fait beaucoup parler de lui, reste une action à l’impact négligeable par rapport aux autres (uniquement sur la question du carbone, ce mode de consommation a d’autres vertues).

La mobilité étant au coeur du sujet de ce blog, je souhaiterai détailler ce volet de l’étude. L’idée est de montrer des nuances car tout comme pour le régime végétarien, la « consommation » intelligente de mobilité permet aussi de réduire efficacement des émissions.

Approfondissement des transports

Gardons le meilleur pour la fin (le vélo) et commençons par l’avion et le covoiturage ! Il me faut d’abord introduire deux notions identiques :

  • voyageur.kilomètre (voy.km) : produit du nombre de voyages par la distance moyenne parcourue. C’est aussi égal au produit du nombre de voyageurs par la distance moyenne parcourue par voyageur. Cette unité commune permet de comparer les différents modes de transport de voyageurs et notamment de calculer les différentes parts modales.
  • PKT – passager kilomètre transporté (RPK – Revenue Passenger Kilometer en anglais) : c’est un terme équivalent à voy.km plus fréquemment utilisé dans l’aérien.

L’avion

Le problème du secteur aérien est moins dans ses émissions directes par avion que dans la croissance du trafic aérien ! En effet, la consommation des moteur à réaction a diminué de presque 50% sur 40 ans (voir graphique ci-dessous), alors que le traffic lui augmentait de 700% sur la même période (5%/an en moyenne)…

Évolution de la consommation moyenne de kérozène pour les avions commerciaux à réaction 4

Personnellement, je salue les efforts de l’industrie aéronautique qui sont assez impressionnants et même si je pense que l’avion reste indispensable pour certains trajets, la réduction de son utilisation est souhaitable sur le long terme. Tout comme le menu végétarien, stopper son utilisation complètement peut être considéré comme une décision « extrême ». Mais là aussi, la réduction, intelligente, de l’usage de ce mode de transport permettrait de réduire considérablement les émissions qui lui sont associées !

Par exemple, le fait de partir « loin » moins souvent mais de rester plus longtemps dans le pays visité (pour amortir le coût carbonique du trajet), est une option efficace avec un « sacrifice minime ». Ceci donne aussi une perspective différente sur le voyage et permet de réintroduire le trajet comme partie intégrante de celui-ci. L’année dernière, je suis allé skier à Lyngen, au nord de la Norvège. L’aller s’est fait en avion depuis Brême, mais le retour en train et bus, en traversant la Suède (environ 2600km !). Ainsi j’ai presque divisé par deux mes émissions « par rapport à un aller-retour en avion », en visitant deux pays, avec une belle aventure à la clef !

Quelques chiffres sur les émissions CO2 de l’aviation commerciale mondiale en 2018

Le graphique ci-dessus représente deux types de donnée :

  • le pourcentage des émissions totales de CO2 des passagers en barrettes bleues (échelle à gauche)
  • l’intensité carbone (en g de CO2 par PKT) en rouge avec son échelle à droite

Si l’on somme les émissions des vols de moins de 2500km, le total s’élève à 46% des émissions totales ! Or c’est aussi sur ces distances que des alternatives à l’avion existent. De plus, la courbe rouge, montre que les émissions par PKT est d’autant plus grande que la distance est faible pour les courtes distance (0 à 1000km), une raison de plus pour privilégier le train, le bus ou le covoiturage sur ces distances. Lorsque l’on dit que l’avion émet moins que la voiture, c’est partiellement vrai pour les vols moyen et long courrier comparés à une personne seule dans sa voiture… Cette affirmation est donc fausse dans la plupart des cas où au moins deux personnes sont dans une voiture (en Europe en tout cas, en Amérique du Nord les voitures consomment plus : 5,2 L/100km en Europe contre 9,8 L/100km aux USA, en moyenne).

Une nuance aussi, étant actuellement sur un archipel (les îles Canaries), je pense (mais je n’ai pas encore vérifié), que l’avion sur des courtes distances pour relier les îles, est une bonne alternative au ferry. Car ce dernier est très émetteur non seulement de CO2, mais aussi de soufre et de particules fines, dont l’impact sur la santé peut alors être néfaste aux alentours des ports.

La voiture (individuelle-urbaine)

Selon moi, l’ennemi public numéro 1. En France en particulier ! Et c’est un problème beaucoup plus compliqué que le végétarisme…

Source : ADEME

Dans la note d’analyse étudiée, on retrouve deux actions la concernant : son remplacement par le vélo sur les courts trajets urbains et l’augmentation du taux d’occupation. C’est cette seconde qui va m’intéresser ici. Le taux d’occupation, ou de remplissage d’une voiture, se définit comme la moyenne du nombre de passager sur l’ensemble des trajets en voiture, c’est une donnée mesurée ou estimée. Cette valeur est en général donnée sur une durée finie et dans un cadre spécifique. Par exemple, sur une année et dans une zone urbaine spécifique, ou suivant le motif du déplacement.

Variation du taux d’occupation par motifs et par tranches de distance (Source : Étude nationale de l’ADEME sur le covoiturage 5, données de l’ENTD 6 2008)

Le graphique ci-dessus montre quelques exemples de taux d’occupation en fonction de la distance et du motif de déplacement. Ces chiffres datent de 2008 mais donnent un ordre de grandeur. Les trajets domicile-travail ont de loin le taux le plus faible : 1,08 en moyenne. C’est donc sur ce secteur que la marge de progression serait la plus forte ! Pour les autres motifs, on remarque que le taux d’occupation augmente avec la distance parcourue.

Évolutions des taux d’occupation des voitures particulières entre les deux dernières ENTD

En 2008, le taux d’occupation moyen sur tous les déplacements s’élève à 1,6 ; contre 2,2 pour la longue distance (distance routière supérieure à 100km). L’hypothèse de Carbone4 est donc d’aligner le taux moyen avec celui de la longue distance. Il faut donc se focaliser sur l’amélioration du « taux courte distance ».

La solution la plus prometteuse pour améliorer le taux d’occupation c’est le covoiturage !

Le covoiturage est défini comme « l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux »

Art. L. 3132-1 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015

On peut distinguer en pratique deux grandes catégories de covoiturage (source : Étude de l’ADEME covoiturage courte distance) :

  • Le covoiturage organisé : il s’agit d’un mode de déplacement qui consiste à partager son véhicule avec une ou plusieurs personnes que l’on a préalablement contactées. La mise en relation de ces personnes pourra s’effectuer notamment via une plateforme internet de covoiturage qui mettra en relation ceux qui possèdent des compatibilités dans leurs trajets.
  • Le covoiturage spontané : on intègre dans cette catégorie l’accompagnement familial d’une part et ce qu’on appelle communément le « stop » d’autre part. Le « stop » est notamment utilisé pour des trajets réguliers courts, sur des axes très fréquentés. Bien que spontané, ce type de covoiturage peut être structuré et facilité de diverses manières.

Revenons donc à nos 0,6 points de différence entre le taux d’occupation moyen et celui longue distance. Si ce chiffre paraît faible en théorie, c’est bien plus difficile en pratique d’atteindre cet objectif et cela ne relève pas uniquement de la volonté individuelle. Par exemple, pour que le co-voiturage domicile-travail fonctionne, il faut que les employés-passagers aient la certitude de pouvoir rentrer chez eux le soir (ou d’arriver au boulot le matin). Ce qui implique d’avoir des alternatives de transport en parallèle de ce système (publique, privée ou gérée par l’entreprise « hôte »). L’État et les régions ont commencé à s’occuper de ce problème et proposent plusieurs solutions comme :

Le reconnu service Blablacar, s’est aussi lancé récemment sur le segment trajet domicile-travail avec Blablalines.

Logo Rezo Pouce

Pour les autres motifs de trajets courtes distances, le « stop » me semble une alternative intéressante (inclus dans la définition du covoiturage ci-dessus). Pour cela, je souhaite uniquement mentionner l’existence, et l’admirable travail, de l’association et société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Rezo Pouce. Son but est simple : rendre facile et accessible la pratique de l’autostop ! Plusieurs outils pour cela : leur site internet ainsi qu’une application mobile. Je recommande autant pour les passagers que les conducteurs !

La bicyclette

La mal-aimée qui a pourtant le pouvoir de résoudre tant de nos problèmes (même ceux des climato-septiques comme : la pollution de l’air et les maladies cardiovasculaires pour n’en citer que deux) ! La difficulté pour le développement du vélo réside particulièrement dans l’imbrication des actions individuelles et collectives. En effet, comme l’auto, pour bien fonctionner la bicyclette requiert un ensemble d’infrastructure et de services : c’est ce qu’on appelle le système vélo. Mais qui de l’individu ou de la collectivité doit faire le premier pas ? Si la collectivité n’a pas de piste cyclable, son citoyen n’est pas près de prendre le vélo… Et comme la voiture prend déjà tout l’espace de mobilité, construire une piste implique de réduire les voies réservées à l’auto. Action rapidement condamnée par ces mêmes automobilistes qui réclament un air pur ou une meilleure sécurité pour leurs enfants. Bref, comment rendre ce cercle vicieux virtueux où tout le monde y gagnerait ? Et qui initierait le changement ? Mon but ici est de déconstruire certains préjugés et de donner des pistes pour se (re)mettre en selle !

Pour cela, je pense qu’il faut avoir une vision long-termiste et apprendre à faire des compromis. Le changement se fera uniquement par le bas dans un pays démocratique comme le nôtre. Là aussi, à force de dialogue et d’argumentation (analytique), il est possible d’améliorer notre qualité de vie tout en résolvant la fin du monde et les fins de mois difficiles ! Encore faut-il que nous écoutions les arguments des cyclistes, et qu’ils fassent de même avec ceux des automobilistes et des piétons.

Voyons d’abord quelques chiffres sur l’utilisation du vélo en France, et comparons les avec nos voisins européens.

Part du mode de transport utilisé pour les trajets domicile-travail en fonction de la distance parcourue (INSEE, 2015)

Pour les distances inférieures à 5 km, la voiture est le mode de transport majoritaire pour se rendre au travail, à des taux records. Ce qui paraît incroyable en sachant que c’est une distance accessible à tou·te·s en vélo ! Dans l’hypothèse de Carbone4, tous les déplacements de moins de 5 km se ferait à vélo, or 50% des déplacements urbains font moins de 5,8 km (en 2004). Au niveau européen, les français semblent bien réticents à utiliser ce mode de transport. Même l’Allemagne, qui possède un lobby automobile plus puissant que chez nous, utilise trois fois plus le vélo. D’ailleurs, le plan vélo du gouvernement a pour ambition de faire passer la part du vélo de 2,7% jusqu’à 9% (proche du niveau allemand) d’ici 2024 !

Pourcentage d’utilisation du vélo comme mode de transport principal dans une journée « typique » en Europe (Eurobarometer 2014)

Il serait donc intéressant de regarder pourquoi nous, français·ses, sommes si peu friant de ce mode de transport. Pour cela, je m’appuierai sur un sondage ainsi que le baromètre des villes cyclables de la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette), tout deux ci-dessous. Le frein concernant la météo est malheureusement surtout « psychologique » parmi, je suppose, les personnes qui : ne savent pas faire du vélo et celles qui n’en font jamais ou rarement. Tous les autres cyclistes savent que la météo a peu d’impact sur leur trajet et que l’on passe souvent (tout le temps ?) entre les gouttes ! La preuve étant que les pays où l’on pédale le plus n’ont pas un climat plus clément qu’en France : Danemark, Hollande, Belgique. Il y a donc un gros effort de communication à faire de ce côté pour convertir les non-cyclistes.

Principaux freins pour commencer la pratique du vélo (choix de 3 freins – sondage 2013)
Freins à la pratique du vélo chez les non-cyclistes (baromètre 2017 des villes cyclables – FUB

L’argument météorologique mis de côté, c’est donc la sécurité qui arrive en première ligne des préoccupations (chez les cyclistes comme les non-cyclistes). À juste titre, car les cyclistes sont exposés à plus de risque que les piétons ou les automobilistes, mais beaucoup d’accidents sont « légers », c’est à dire « pas de blessure » ou blessure superficielle. Pour ma part, j’ai déjà expérimenté deux collisions à Grenoble (en trois ans), sans blessure. Mais j’en ai évité plus d’une dizaine de peu, la plupart à des intersections sur des refus de priorité de conduct·eur·rice. Pour la sécurité, même si une bonne infrastructure est indispensable, il faut aussi noter que l’accroissement du nombre de cycliste fait diminuer le nombre d’accident (graphique ci-dessous). Cela pour plusieurs raisons je pense :

  • Les automobilistes qui pratiquent le vélo sont plus respectueux envers les cyclistes et ils sont plus « conscients » des risques (ils font plus attentions aux intersections par exemple)
  • Les vélos limitent la vitesse des voitures dans les rues étroites
  • Plus de vélos implique plus d’infrastructures
Nombre de cyclistes tués en barette et nombre de trajets effectués en vélo en droite (source OCDE)

Enfin, un dernier frein qui m’intéresse ici est celui la distance et du terrain. L’hypothèse de Carbone4 permet en partie de s’affranchir de ce frein dans l’étude : distance courte et urbaine (généralement terrain plat). Mais l’essor rapide des VAE (Vélo à Assistance Électrique) permettrait d’envisager de faire reculer ce frein. Cette invention a le pouvoir de donner des ailes à votre grand mère ! Pour vous donner une idée, j’ai testé ce système pendant une semaine pour me rendre à Saint-Hilaire lors d’un stage de parapente. Je parcourai tous les jours 20 km et 800m de dénivelé ALLER en… 40-50 minutes ! Si on peut envisager que tout le monde se mette au vélo sur des distances de 5 km, le VAE pourrait faire monter cette distance jusqu’à 10 km, indépendamment du relief. D’autres applications sont également rendues possibles grâce à l’assistance électrique :

  • les vélo-cargos pour le transport d’enfants ou de charge (à ce sujet, je vous encourage à regarder le blog des parents voyageurs, rencontrés au Portugal)
  • les vélomobiles pour la longue distance (> 20 km) par tous les temps
Prévisionnel des ventes de VAE en France pour 2019 (Source : Blog Cyclable)

Vous êtes maintenant convaincus que les principaux freins n’en sont plus, mais comment se remettre au vélo ?

Commencez progressivement et demandez conseil à un ami cycliste. Vous pouvez notamment profiter de vos vacances pour louer des vélos ou tenter l’expérience du vélo partage (comme le vélib parisien ou le vélov à Lyon). L’été est un moment propice pour louer un vélo électrique et tenter de se rendre au travail avec. Il est par contre conseillé de bien se renseigner sur le trajet avant.

Si vous êtes cycliste quotidien, ce grand pouvoir de liberté implique de grandes responsabilités ! Notamment celle de convertir et d’accompagner les non-cyclistes et cyclistes néophytes. En effet, il sera plus facile de convaincre celles et ceux qui sont au moins montés une fois dans l’année sur un vélo ! Les 50% de français qui ne prennent jamais le vélo seront plus durs à convaincre… Proposez à vos amis et collègues des tours à vélo le weekend ou entre midi et deux. Plusieurs associations existent aussi pour promouvoir la pratique du vélo, n’hésitez pas à vous engager (des idées d’assos ici en bas et un guide pour monter son asso cyclo).

Fréquence d’utilisation du vélo en France (sondage 2013)

Agir en entreprise ?

Les actions individuelles sont souvent associées au temps libre d’un·e citoyen·ne. Or nous passons une part significative de notre temps au travail, donc pourquoi ne pas adopter le même comportement au boulot ? On peut agir quelque soit notre place dans une société (privée ou publique).

En tant qu’employé·e, en France, on peut notamment demander à sa direction : préférer prendre le train (à l’avion) pour les voyages d’affaires (lorsque possible), des jours de télétravail, proposer le tri des déchets, l’indemnité vélo, d’organiser un système de covoiturage, etc… Je conçois que ce genre de discussion est plus facile tant l’entreprise est petite, mais dans les entreprises moyennes à grandes ces propositions peuvent passer par les corps intermédiaires (je suppose).

Si vous êtes cadre/manager, vous pouvez préférer des réunions en visioconférence à des rencontres physiques avec vos collaborateurs (pour l’avoir expérimenté, c’est vrai que rien ne vaut la rencontre physique, mais ces dernières peuvent être « optimisées »).

Enfin, les conseils d’administration et de direction doivent intégrer les émissions de CO2 en tant que paramètre dans les fichiers comptables (ce qui arrivera un jour ou l’autre sous forme de taxe ou quota) ! Les grèves pour le climat des jeunes et le récent manifeste étudiant pour un réveil écologique montrent que le·la salarié·e de demain choisira aussi son·sa patron·ne en fonction de ses émissions. Voici deux bonnes raisons d’accorder l’indemnité vélo (vous en trouverez même d’autres ici) !

J’allais oublier ! Les cyclistes qui se rendent au travail en vélo sont friants d’une bonne douche en arrivant (surtout s’ils parcourent plus de 10 km ou que la pluie s’est invitée sur le trajet). C’est un investissement qui vaudrait le coup si vous voulez faire plaisir aux vélotaffeu·rs·ses 7 de votre entreprise ! Cet investissement n’est pas indispensable s’il existe une salle de gym à moins de 5 minutes, vous pouvez alors proposer un partenariat à cette dernière.

Enfin la fin !

Voilà, l’article est fini. Merci d’avoir lu jusqu’ici ! C’est difficile de répondre à un problème complexe uniquement avec des listes « tout ou rien ». Comme je l’ai mentionné, les débats éclairés sont de bons moyens pour venir à bout des défis de notre siècle. Beaucoup de connaissances sont disponibles, il faut maintenant nous en imprégner, les partager et discuter !

Notes de bas de page

Les îles volcaniques des canaries

Temps de lecture / Reading time: 18 minutes

Petite traversée

C’est donc avec quelques jours de retard que nous quittons Agadir. Enfin. C’est sur un superbe 54 pieds que nous passerons cette courte traversée (environ 260 milles nautiques). Au large, le vent s’établit entre 18 et 20 nœuds, il soufflera plutôt 20 noeuds pendant la nuit. Le pilote automatique est réglé, nous ne toucherons pas les voiles du trajet (moi en tout cas) ! Les quarts de nuit sont difficiles mais pas intenables. Quand le sommeil pointe le bout de son nez, il suffit de sortir la tête au dehors pendant 10 minutes ! Lanzarote se dessine à l’horizon à partir de 14h.

À peine arrivés sur l’île, qu’une montagne me fait de l’oeil. Ni une ni deux, j’enfile les chaussures de rando et part à la découverte de ce sommet. L’attente à Agadir a été un peu longue, il faut que je me remette au sport !

Une vue bien méritée
Une vue bien méritée

Isla Negra et Isla playa (Lanzarote et Fuerteventura)

Lanzarote offre des paysages lunaires montagneux. Comme Thierry a besoin d’un peu d’aide pour sortir le bateau de l’eau mercredi, j’ai au moins deux jours pour faire le tour de l’île à vélo. Elle fait environ 60km de long. Un Warmshowers peut m’héberger lundi soir sur Arrecife, ça tombe bien !

Cycling on the moon 🎶
Ca souffle sur Lanzarote !

Malgré le climat désertique, on trouve un peu d’agriculture sur l’île. Réputée venteuse, les vignes poussent au fond de petits « cratères », ce qui donne aux champs un charme particulier. Le tourisme aidant, l’infrastructure routière est assez récente, et les « anciennes » routes nationales sont réservées aux cyclistes. Lanzarote est, de loin, l’île la plus cyclo-friendly ! Dacio, qui m’héberge à Arrecife, m’indique même que beaucoup de cyclistes professionnels viennent s’entraîner ici. Et pour cause : le climat est clément toute l’année, il y a une bonne infrastructure et du dénivelé ! Surtout, la soufflerie naturelle de l’île permet de s’entraîner en conditions défavorables !

Le vélo n’est pas très chargé mais le mois d’inactivité et le vent n’aident pas vraiment pendant ces deux journées. Je rejoindrai quand même le nord de l’île, jusqu’à Orzola, puis traverserai Lanzarote pour retourner au bateau. La route est calme et les paysages sont toujours magnifiques.

Le quatrième jour aux Canaries, je quitte Lanzarote et Thierry pour Fuerteventura. La vingtaine de kilomètres qui la sépare de playa Blanca se feront en ferry, une fois avoir sorti le bateau de Thierry de l’eau. Arrivé en début d’après midi, j’ai le temps de déjeuner, pédaler moins de 30km et de finir la journée par une petite randonnée vers Valleebron.

Bateau volant
Lanzarote au loin depuis Fuerteventura
Vue aérienne sud
Vue aérienne nord

Au programme de la deuxième journée, la traversée des montagnes de Betancouria avec deux randonnées. Une au dessus de Betancouria, et l’autre vers Toto. Le vent souffle toujours, mais dans le dos cette fois. Par contre, il est très fort en « altitude » (le sommet de l’île, pico de la Zarza, culmine à seulement 807m). Un petit abri de pierre me servira de maison cette nuit là.

Toto vu d’en haut
Vie nomade mais nuit confort

Le troisième jour, sur le vélo uniquement, passe dans une superbe vallée en descendant sur Pared, la montaña Cardón veille. Puis, traversée de l’isthme en suivant les dunes. Après ces deux jours seuls dans la nature, le déjeuner dans une station balnéaire est un peu brutale (mais la douche fera bien plaisir !). Les gens ici me parle directement en allemand…

La route entre Morro Jable et Puerto de la Cruz est une piste 4 étoiles : bien roulante avec peu de cailloux. Des montagnes à ma droite et la mer sur la gauche comme seuls compagnons. Au phare de Punta Jandía, une famille germano-italienne m’invite à partager son dîner. Ils habitent Munich et ont loué un camping-car pour visiter l’île. Cette nuit, je dormirai à la belle étoile, au son du vent et des vagues. Les nuages défilent et provoquent des éclaircies de pleine lune. Je me réveille au milieu de la nuit et impossible de refermer l’oeil dans l’immédiat. 2h à contempler les deux phares : un naturel éphémère, l’autre articificiel mais perpétuel.

Phares

Le matin, le manteau de bruine ne donne pas envie de s’éterniser ici. La nuit aura été courte, mais une superbe plage m’attend pour la sieste : à Cofete. Peu de kilomètres et de dénivelés nous séparent ! Une route sinueuse m’y emmène. Cette plage s’étend sur plusieurs kilomètres. Au seul café du village, je discute avec un anglais qui a randonné depuis l’autre côté, il me confirme que ce serait difficile de monter à vélo mais qu’une fois le col passé la descente serait plus simple. Cette option me plaît car elle me permettrait de tenter l’ascension du sommet de l’île : le pico de la Zarza. Et de rejoindre ensuite Morro Jable pour prendre le ferry.

Plage infinie
Barrière naturelle
La montagne rôse
Bonne nuit

Encore une nuit à la belle étoile, et toujours du vent. Ma journée commence tôt car je sais que l’ascension sera longue et difficile. Je projette de monter jusqu’au col puis de laisser le vélo et de monter à Zarza à pied. Il n’y a pas de sentier prévu mais ça semble jouable. La montée au col est aussi difficile que prévue ! Je devrais faire plusieurs aller-retours, avec les sacoches d’abord puis avec le vélo. Mais je ne croiserai personne ! Après 3h de montée me voici au col. Vélo posé, je commence l’ascension pédestre. Il me faut me frayer un chemin « logique » dans un dédale minéral. Après une bonne heure et demie, j’arrive presque au sommet et là, surprise : une grande clôture m’attend… j’ai le choix de continuer à l’ISO en suivant la clôture puis de monter mais je risque de manquer de temps… donc je préfère déjeuner et rebrousser chemin. Enfin, la descente, supposée facile, n’est en fait pas si idéale que cela… Elle est même plus compliquée que la montée à cause de nombreuses « marches » assez hautes. Les sacoches les touchent donc et je risque de les abîmer. Bref, une journée un peu merdique, qui se termine en beauté par 6h de ferry !

Ténérife, l’île aux mille visages

Le ferry m’a débarqué à Santa Cruz de Ténérife et le camping le plus proche est à Tejina, au nord d’ici. Je n’ai pas vraiment de programme, mais je compte rester sur cette île au moins dix jours. Après un court passage à la marina, je mets le cap au nord. La montée jusqu’à la Laguna est plutôt longue et raide ; en plus le traffic dense et l’impatience des automobilistes n’ajoutent aucun plaisir à l’ascension de cette montagne urbaine. Je retrouvai le calme et la tranquilité une fois au camping. À part une colonie de vacance française, il n’y pas grand monde. Le parc naturel de l’Anaga n’est pas très loin d’ici et semble parfait pour un combo vélo-rando ! Par contre, il est strictement interdit de camper dans cette zone… Un espagnol du camping me fera comprendre que le bivouac semble par contre toléré. Si non, les seules options pour dormir là haut sont en auberge ou maison d’hôte – options non comprises dans mon budget !

Parque de l’Anaga

Le lendemain, je pars donc pour l’Anaga avec deux sacoches, le reste m’attendra au camping. Première étape : Cruz del Carmen. Une fois le vélo posé devant le café, je pars à pied direction Las Carboneras. Puis retour par Tavorno jusqu’au pico Ingles. Une forêt très verte et humide mais aussi des crêtes escarpées qui rappellent les Alpes. Dodo dans la forêt, il fait un peu froid, mais j’arrive à dormir un peu plus de 6h.

Jungle d’Anaga
Jungle un jour, jungle toujours

Escaliers naturels
Le rouge et le vert

Comme il n’y a pas de café dans le coin, c’est dans la forêt que je cacherai le vélo. Le campement (photo ci-dessus) est la planque idéale. Puis je pars direction le village de Chamorga. C’est la même forêt tropicale que la veille, enveloppée dans le brouillard du matin. J’effectuerai une petite boucle jusqu’au hameau de Roque Bermejo. Les montagnes de Tafada et le phare d’Anaga sont sur ma route aller. Le retour se fera dans le canyon menant à Charmoga. Très jolie vallée. Pour rentrer au camp, je peux attendre le bus ou faire du stop, la seconde option me semble plus intéressante ! À peine le pouce levé, qu’un conducteur s’arrête. Il est originaire de Barcelone mais travaille ici. Depuis son dernier voyage en France, il essaie d’apprendre le français.

Décors typique des Anaga
Charmorga sortie du brouillard
La route du phare

Vélo retrouvé, je reviens sur mes pas jusqu’à Roque Negro. Dans la voiture, le catalan m’a conseillé un restaurant qui sert de la cuisine locale : casa Santiago. Ça tombe bien car il est sur ma route et je passe dans le coin vers 13:30 : l’heure du déjeuner hispanique. De la musique s’échappe de l’entrée. Un guitariste, une chanteuse et deux fans sont attablés sur ma gauche. En face, un vieillard lit son journal. Et deux locaux sont au comptoir avec des petits verres de rouge. Bonne ambiance ! Je m’assois en terrasse et commande une demie racion de chèvre avec des papas (patates), et un petit verre de tinto (vin rouge). Pour goûter. C’est assez bon et pas très cher.

Le ventre plein, j’entame la descente vers Roque Negro. Sûrement là où je passerai la nuit. Le hameau n’est pas bien grand, la place du village est toute mignonne. Sans parler de la vue imprenable sur le village d’Afur. Le coin est tranquille en tout cas. Il n’est pas 15h quand j’arrive, je cadenasse alors le vélo et pars à pied. De retour, la place est devenue plus animée qu’avant ! Dans une petite salle mitoyenne à l’église, ont lieu des cours de chant. Une heure plus tard, c’est une répétition de danse qui a lieu sur le parvis de l’église. J’ai bien choisi l’endroit et le moment ! À la fin de la répétition, je vais voir la doyenne du village pour demander si je peux dormir sur la place. Juste une nuit. Elle sera plus fraîche que la veille. Sûrement à cause du ciel dégagé. Mais bon, je survivrai : c’est maintenant la 7eme nuit que je passe sans tente !

Place de Roque Negro

Pour ma dernière journée dans l’Anaga, je m’offre une belle boucle : de Roque Negro jusqu’à Taganana, ville de la vallée voisine, et retour par Afur. Plusieurs paysages au menu : d’abord la forêt bien verte, puis un sentier côtier mêlant désert, Bretagne et fjords norvégiens. Je croiserai d’abord deux amis, un brésilien et un vénézuélien. Anibal, le vénézuélien, m’explique que pendant l’époque franquiste, les temps étaient durs pour les Canaries et beaucoup émigrèrent là bas. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le Vénézuela est d’ailleurs surnommé la huitième île par les locaux.

Rando Taganana – Afur
Rando Taganana – Afur

Un couple français nous rattrape, je décide de continuer avec eux car ils papillonnent un peu moins, et ma conversation en espagnol commence à tourner en rond… ils sont Toulousains et profitent du comité d’entreprise pour s’offrir une semaine tout compris sur Ténérife. Adeptes de l’autostop, ils partagent leurs échecs sur l’île en partant de Puerto de la Cruz (ville majeure du nord). On marchera ensemble jusqu’à Afur en discutant de nos voyages, nos randos, etc.. Ça fait du bien de rencontrer des gens par hasard ! Ces sentiers ne sont pas trop parcourus alors qu’ils sont magnifiques ! Pour cela je remercie la voiture d’exister : elle permet de contenir les touristes aux abords des parkings. Pour cloturer ce séjour dans le parc, 300m de montée m’attendent suivit d’une longue descente. En plus, je commence à connaître la route !

De retour au camping, je discuterai pas mal avec un italien. Lui aussi voyage à vélo… depuis 4 ans ! Il réside ici depuis 2 ans et travaille en échange d’une tente « présidentielle » et sûrement quelques dineros. Il pense ouvrir son propre camping ici, ce qu’il manque vraiment ! Par contre une offre cyclotouriste ne lui semble pas viable comme il y a peu de cyclistes… peut-être le vélo électrique pourrait aider le développement du tourisme à vélo dans ces contrées vallonnées ?

Acampada au Teide

Après l’Anaga, j’entame une retraite dans le parc principal de l’île. D’abord dans la zona de acampada de la Caldera, puis celle de Las Raices. Ce sont des sortes de camping public qu’il faut réserver en ligne, le nombre de place et la durée sont limités (jusqu’à sept jours consécutifs). Il y a en général de l’eau (non potable, mais que je filtre.. parfois) et des toilettes. Je crois que certaines zones ont des douches… pas de gardien par contre. Mais j’ai toujours laissé le vélo cadenassé lors de mes excursions journalières, sans soucis ! Il n’y a pas beaucoup de passage dans ces zonas…

À vélo, qui dit montagne, dit « fait chauffer tes cuisses » et attention aux bus ! Départ à 10h et arrivée à 17h, pour 50km et 1500m de montée… La dernière ligne droite est sinueuse, avec des bus qui passent à pleine trombe. Autant je glorifie les transports en commun pour leur utilité publique en ville, autant je les trouve dangereux en montagne… Cela dit, les routes ne sont pas très adaptées aux rares cyclistes (et la masse critique 1 risque de ne jamais être atteinte).

Pour explorer un peu les environs, je partirai à pied le premier jour. Plusieurs randonnées partent du campement. J’emmène le parapente avec moi pour faire du gonflage au décollage d’Isaña. Et puis ça m’entraînera de montée avec un peu de poids. Les trois quarts de la rando sont dans les pins, et ça monte droit dans la pente. Arrivé au plateau, on passe directement de la forêt dense au désert ! Avec tout de même des buissons bien fournis en araignées ! Qui me confirment que ce sentier n’est pas très emprunté… Le sommet est loin du terrain rêvé de pente école : roches volcaniques abrasives et pente forte. En plus, le souffle majoritaire vient plus du vent que de la brise. Ce n’est pas l’idéal pour ce que je voulais faire, mais je déplie quand même ma voile. Trois bourrasques me font rapidement changer d’avis, en plus le vent a forcit, donc la partie est terminée pour aujourd’hui. Un peu déçu, j’entame le retour vers le camping, en stop cette fois. Encore une fois, la chance me sourit : une vénézuélienne s’arrête. Mon sac de parapente a attiré son attention, et pour cause elle travaille avec un pilote qui vole ici. En conduisant, elle me dit que le décollage officiel est en fait un peu plus loin et me propose de m’y emmener pour décoller. Mais je décline, je trouve le vent trop fort. Par contre, ils ont un vol prévu le lendemain matin et elle peut me monter avec eux. Ce sera pour un « plouf »2 mais pourquoi pas !

Le Teide et sa mer de nuage

Voler c’est bien, avec un atterrissage c’est mieux

Grâce à Erica rencontrée la veille, je vais pouvoir faire mon premier vol depuis Arbas ! La voiture est presque pleine avec : Marco le parapentiste, Érica et leur client en quête de sensation forte. Aujourd’hui, les conditions sont parfaites : pour une fois le voile nuageux sous le plateau s’est dissipé. Marco m’a expliqué qu’aux Canaries certaines règles du parapente ne s’appliquent pas vraiment… Il est donc toléré de décoller depuis un parc national sans visibilité sur l’atterrissage ! Atterrissage qui dans notre cas se fera sur une plage à Puerto de la Cruz.

Au décollage nous retrouvons d’autres bi-placeurs “touristicommerciaux”, la brise est encore légère. Marco décollera avant moi et je le suivrai jusqu’à l’atterro. Pour voler, il vaut mieux se sentir bien physiquement et moralement, mais aussi avoir un bon pressentiment sur le vol. C’est mon cas ce dimanche : je suis reposé, un peu excité et les conditions sont calmes. Lors d’un vol, les phases critiques sont surtout le décollage et l’atterrissage. Pour ma part, je maîtrise assez bien le premier mais le second a encore une marge d’amélioration notable ! L’atterrissage demande en effet une bonne connaissance de son aile et de son plané, ce qui permet de faire une belle “finale” : la dernière ligne droite avant le posé. Plus le site d’atterrissage est grand (celui de Lumbin, sous Saint Hilaire du Touvet, est énorme), plus il est aisé d’atterrir. Une bonne pratique lorsque l’on découvre un nouveau site est de visiter l’attéro avant de décoller : cela permet de visualiser les approches 3 “au calme” depuis le sol. Mais je ne l’ai pas fait aujourd’hui pour plusieurs raisons : premio l’atterrissage est assez loin du camping (en distance ET dénivelé), deuxio c’est une plage je l’imagine donc grande et pas trop fréquentée (vu le nombre de biplaces qui atterrissent).

La voile est dépliée sous le soleil de 10h30, Marco est en train de démêler ses suspentes, je l’imite. Au début, je n’aimais pas trop cette phase car beaucoup de noeuds apparaissent magiquement et ils sont « souvent » difficiles à défaire. Mais avec le temps, on apprend à mieux ranger sa voile, les noeuds se font alors plus rares. En plus, le vol commence dès la voile sortie de sa housse, mentalement la concentration est à 100% sur nos suspentes, la sellette, l’évolution du vent, le casque… Bref, la préparation de la voile se fait dans une sorte de bulle mentale, presque méditative. Marco a quelques noeuds, j’en profite alors pour faire le réglage de la caméra : angle de vue, qualité d’image, sont importants si je veux pouvoir vous faire voler avec moi par la suite !

Le biplace est parti. C’est à mon tour maintenant. La brise, toujours légère, devrait tout de même me permettre de décoller en face voile. Le regard en contrebas, sur la girouette, dans l’attente d’un nouveau cycle d’air. Il arrive, ma voile monte doucement, toute légère, le cône de suspentage ne montre aucun défaut : c’est parti ! Je ne la sens presque pas au dessus de ma tête car le courant d’air est faible, ma course va l’aider. Quelques foulées, et je m’envole. Quel bonheur. Sur la gauche le Teide me surplombe du haut de ses 3700m et en face de moi, l’immensité bleue de l’Atlantique m’hypnotise. Dans le fond apparaît La Palma, à une centaine de kilomètres. Les thermiques ne sont pas encore établis. Je poursuis donc ma descente lentement vers Puerto de la Cruz, survolant d’abord la couronne de pins du Teide puis la zone urbaine côtière.

Au niveau de la mer, je vois enfin l’atterrissage. Une petite baie en plein centre ville. La zone de perte d’altitude se situe au dessus d’une falaise en amont. Les lampadaires et les grands immeubles rendent la plage moins attractive à tout parapentiste débutant… Bien que la plage soit plutôt grande, la zone d’atterrissage “officieuse” est, elle, bien plus petite (15m de long sur une largeur de 5m). Après plusieurs aller-retours le long de la falaise, je décide de me mettre en finale. Un peu tard, je me rends compte que je suis trop haut. La voile est toujours à environ 30-35 km/h mais les immeubles semblent se rapprocher plus vite ! Il faut que je la freine et que je zigzague entre les lampadaires. Les passants sont nombreux mais je ne les considère pas encore comme des obstacles. Ce dernier S avec la voile freinée me permet de perdre l’altitude manquante, mais ce n’est pas très propre et un peu dangereux pour les passants dessous ou moi même… Enfin, le sable se rapproche, les mains hautes pour bien rentrer dans le gradient, puis je freine complètement la voile juste avant l’impact. Pfiou. Quel attero de m$@&de !

Je fais remarquer à Marco que c’est plutôt difficile comme approche, il me répond “c’est vrai, l’attero officiel est sur le parking derrière mais sur la plage c’est plus impressionnant pour les touristes et en plus c’est une bonne pub’ facile !”. Bref, nouvelle leçon retenue aujourd’hui : voir l’attero d’un nouveau site est NÉCESSAIRE encore à mon niveau. La seconde leçon : se méfier de ce que disent les pilotes locaux, surtout s’ils ne travaillent pas pour une école (ou alors demander à plusieurs). Ce genre d’erreur est bénéfique dans la discipline du parapente car elle permet de remettre les pendules à l’heure. Il est à peine treize heure lorsque je rejoins le camping mais je considère ma journée finie.

Rando au Pico

Pico del Teide est le toit de l’Espagne. En début d’année, avec les copains, nous avions gravi à ski avec le pic de l’Aneto (Pyrénées) dans un tout autre décor. Mais ce dernier n’est que le plus haut sommet de l’Espagne métropolitaine ! Le volcan Teide fait 314m de plus. L’accès au sommet est restreint pour la conservation, il faut donc demander un permiso pour y accéder. Deux à quatre mois en avance. Bien évidemment, je n’ai pas le permis… Le programme de la journée est de faire la randonnée jusqu’à la limite autorisée et de négocier une fois là haut. Dans tous les cas, la rando promet d’être scénique !

Montaña blanca

Trois minutes de pouce en l’air me permettent de monter jusqu’au sentier de Montaña Blanca en stop. L’air est déjà chaud dès 9h30. Quelques groupes descendent, peut-être sont ils montés tôt le matin (pas de permiso nécessaire dans ce cas). Je monte assez vite, c’est mon sport de la journée. Le refugio Altavista derrière moi, je croise un espagnol au look montagnard, curieux, je lui demande si est possible de monter depuis la face est. Il est énervé. Lui aussi est monté à pied. Lui non plus n’avait pas le permis. Lui aussi pense que la montagne n’est pas une attraction touristique mais un espace de liberté et de responsabilité. Le mot espagnol qu’il utilise pour décrire le responsable des entrées m’a l’air tout sauf affectif ! Ça va être plus dur que ce que j’espérais…

L’altitude limite est à 3550m, au niveau de l’arrivée du téléphérique. Le contraste est saisissant : il faut se frayer un chemin entre les touristes alors que j’ai compté 9 personnes sur le sentier de l’ascension. J’ai compris après que les touristes passent en fait qu’une journée (max. deux) dans le parc. Ils ont donc le temps de monter au Teide (grâce au téléphérique), visiter les Roques de Garcia, faire des photos depuis plusieurs miradors (grâce à la voiture). Mais bon, ce n’est pas vraiment une excuse !

La négociation débute alors avec M. Permiso-necesario. Longue, difficile, inutile (?), je finis par comprendre qu’il serait possible de monter une fois le téléphérique fermé, vers 19h, lorsque l’équipe Permiso-necesario aura quitté les lieux. Il est midi et demi. Je décide d’attendre jusqu’à lors, je lirai en attendant. Beaucoup de gens ne sont pas au courant de l’existence du permis. D’autres ont des permis “périmés”. Certains veulent en changer le titulaire. Mais M. Permiso-necesario est formel : le bout de papier est strictement nominatif et valide uniquement à la date indiquée. D’un côté, je comprends et même soutiens les efforts de conservation, mais j’ai du mal à croire que les 200 personnes autorisées par jour se pointent le jour-J. Même en Allemagne, où les refuges sont tous réservés des semaines à l’avance, il y avait toujours des désistements de dernière minute pour les pauvres français et espagnols en retard… Dès 17h M. Permiso-necesario quitte son poste, il ne manque pas d’en informer son collègue du téléphérique qui assurera la relève. Un couple d’espagnols arrivent au sommet « intermédiaire » en sueur et ils n’ont pas de permis non plus. Ils discutent un peu avec ce dernier qui a un discours un peu différent : « si vous montez sans permis, même en dehors des horaires d’ouverture, vous risquez à une amende de 6 000€ ». Perlexe, le couple n’y croit pas mais devant l’entêtement du garçon ils renoncent à monter ce soir. Je resterai une heure de plus à réfléchir, puis je déciderai aussi de rentrer à la maison, l’altitude et le soleil ayant eu raison de moi. Voici la deuxième montagne « interdite » du voyage…

Pour la descente, j’emprunterai un autre chemin, via le pico Viejo (le vieux pic), superbe cratère. En plus, la vue sur le Teide est exceptionnelle ! Le couple allemand que je rencontre sur le chemin me déposera au camping pour terminer cette longue journée.

Cratère du pico Viejo
Pico Viejo
Descente du Teide
Teide vu depuis le pico Viejo

Fin du séjour sur Ténérife

Ma réservation à la Caldera termine ce mardi, je pars donc pour Las Raices, qui est plus proche de Santa Cruz, mais aussi plus loin du parc national. Après avoir parcouru plusieurs fois cette route en stop, il me faut la grimper par la force des mollets !

Je suis tombé sous le charme du parc du Teide, et regrette un peu mon éloignement… Maintenant 40 à 50km me sépare des belles randonnées. Cela ne m’arrête pas pour autant et j’arriverai à faire deux sorties de plus grâce à l’autostop !

La seconde était maravillosa (merveilleuse) : les Siete Cañadas (sept ravins/canyons), agrémentée du sommet Guajara. Ce jeudi fût une journée « optimisée » ! Le temps total d’attente en stop compte 30 minutes max, pour 1h30 de trajet et 5 voitures différentes : ce qui est plutôt bon. Comme toutes les autres randos jusqu’ici, je croiserai des touristes dans les zones à 2km d’un parking uniquement ! J’ai donc la paix sur 14km. Les paysages changent sur le chemin, mais gardent le Teide comme sentinelle.

Après la rando, je souhaite prendre le ferry pour rejoindre Gran Canaria. Le stop marche tellement bien, que j’arriverai à embarquer avec le ferry de 18h30, en achetant mon billet 2 minutes plus tôt au guichet ! Adios Ténérife !

Autostop à Ténérife

L’autostop est une pratique écologique ouverte à toutes et tous, de préférence pas trop pressé. Je pense que c’est une bonne transition d’une société « tout voiture » vers le « tout transport en commun ». Basé sur la confiance et la solidarité, ce mode de déplacement permet de se reconnecter à la réalité par des échanges qui ne sont malheureusement plus difficiles aujourd’hui (mixité sociale, politique, etc). Par exemple, j’ai pu, grâce à l’autostop, échanger avec des ouvriers, islamistes, corses un peu dangereux, artisans et d’autres encore.

En tout, ce sont 13 voitures qui m’auront aidé à faire 8 trajets. Statistiquement, les voitures étaient composées à 38,5% d’homme seul, 38,5% de couple et 23% de femme (seule, famille, amie). À peu près moitié-moitié pour la répartition touriste VS locaux. Des touristes, 70% étaient germanophones (suisse, allemand, autrichien) ! Et le prix de la meilleure voiture revient à …

Une voiture 100% filles : une mère autrichienne et ses deux filles en vacance. L’aînée fait ses études ici, donc la famille en profite pour lui rendre visite ! J’ai l’impression que les touristes espèrent aider un local lorsqu’ils s’arrêtent… alors qu’en fait, pas du tout ! Pour les remercier, je les aiderai à finir leur pizza de la veille, qui était énormissime.

Notes de bas de page

Agadir, difficile d’en partir

Temps de lecture / Reading time: 5 minutes

Début août me voici aux Canaries depuis trois semaines. Semaines de vacance surtout, dont pas mal de vadrouille dans les montagnes. Débarqué à Lanzarote, j’ai rapidement fait le tour de l’île sur deux jours.

Puis, cap vers Fuerteventura, l’île voisine. J’y passerai quatre jours complets pour explorer à pied et en vélo. Dunes, plages et montagnes. 

Je terminai par la meilleure des trois : Ténérife. Avec ses parcs naturels aux paysages variés. 

Aujourd’hui, c’est depuis Las Palmas que j’écris ces lignes. Le bateau-stop reprend ici, dans cette immense marina (1250 points d’amarrage). La stratégie va changer un peu car je ne veux pas passer autant de temps dans la marina : 

  • Prise de température pendant une semaine : voir si des bateaux partent à court terme
  • Si non : exploration de Gran Canaria à vélo (pendant une semaine)
  • Puis une nouvelle semaine de prospection à la marina
  • Si toujours pas de bateau : exil sur La Palma ou El Hierro le temps que les bateaux arrivent (dans ce cas je devrai annuler le ski au Chili…)

Cet article raconte d’ailleurs mon expérience de bateau stop au Maroc.

Adaptation

Passer du mode nomade au mode sédentaire est plus difficile qu’il n’y paraît. D’autant plus lorsque le budget logement est proche de 2€ par jour et que les marinas sont, en général, en ville ! Le vélo offre un sentiment de liberté et d’autonomie à l’opposé de la position du bateau-stoppeur, qui lui est dépendant du voilier et son capitaine. À Lisbonne, je n’avais pas vraiment fait de bateau-stop car j’avais contacté Pierre assez tôt pour aller aux Açores (plan qui est malheureusement tombé à l’eau). C’est donc au Maroc que commença vraiment l’expérience !

La première chose à faire dans ce cas : trouver un endroit bon marché pour passer la nuit, et si possible pas trop loin de la marina. Heureusement Agadir possède un camping en centre ville. Avec son lot d’inconvénients aussi. La modique somme de 50 dirhams (environ 5€) comprend la nuitée en tente avec un vélo. Bien que trois fois supérieur à mon budget « hôtel 4 étoiles », je consomme peu d’argent pour me nourrir (environ 2,5€ par jour), c’est donc mon budget repas qui absorbera ce surcoût. Premier challenge réglé !

Il faut ensuite retrouver un rythme sédentaire : identifier les supermarchés pas loin/pas chers, organiser ses journées, rechercher un spot WiFi, développement social (optionnel). Ça ressemble pas mal aux étapes d’intégration dans une nouvelle ville/nouveau pays au final ! Mais en accéléré et sans emploi (donc sans base sociale…) ! Je me prépare en général une liste de tâches (avec 90% de rédaction d’articles en retard…), et les journées se remplissent assez bien.
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Une fois les bases posées, la quête hauturière peut commencer. Comprendre comment fonctionne la marina, qui fait quoi, qui sait quoi, qui peut aider, qui va empêcher. Non seulement connaître les marins, mais aussi le personnel, les pêcheurs. Ensuite il faut faire savoir ce que l’on cherche, l’information circulera en général assez bien localement voire même passera les frontières ! Le réseau marin, comme tout réseau, est très solidaire. Et les expériences avec des équipiers bateau-stoppeurs peuvent bien se passer ou être un enfer. Donc l’information circule vite et aidera beaucoup plus qu’une longue discussion au bord du quai !

Journée classique

Les premiers jours, je dors donc au camping et j’occupe mes journées par des lectures sur le réchauffement climatique et l’entretien du vélo. Une fois la journée de « travail » terminée, je pars faire ma tournée quotidienne de la marina. L’avantage par rapport à Lisbonne se révèle être un inconvénient en fait. Certes il n’y a qu’une marina à visiter mais elle est petite et très peu de marins s’y arrêtent avant de rejoindre les Canaries…

État d’un des 11 winchs nettoyés

À force de visiter la marina je rencontre Mourad, un marocain qui rénove son bateau dans le but de partir autour du monde. Le contact passe bien. J’aiderai donc Ibrahim, un jeune ivoirien en stage sur le bateau, en échange d’un lit. Je suis maintenant sur place ! Les semaines passent mais peu de bateaux transitent. Sur les rares que je croise, deux seulement allaient aux îles Canaries… Une routine s’installe : je connais le propriétaire de la supérette et mange souvent au même snack à l’entrée du port de pêche.

Dans la marina, j’ai aussi rencontré ce couple d’octogénaires américains qui a traversé plusieurs fois l’Atlantique. Léonard et Julie naviguent ensemble depuis plus de dix ans avec leurs chiens. Comme beaucoup de nomades des mers, leur vie est une aventure. La leur a commencé avec la retraite. Mais ils ont trouvé leur bonheur dans la mer. J’espère que nos routes se recroiseront !

Julie et Léonard devant leur bateau
Julie et Ibrahim avant mon départ

Grand départ sur Grand Soleil

Début juillet, je rencontre un autre marin, plutôt discret. Nous échangeons rapidement. Il attend un copain « voileux » et comptent rejoindre les Canaries en mode régate (en passant par Madère). Malheureusement il ne peut pas m’emmener car je ne serai qu’une contrainte de plus dans leur séjour retrouvailles/performance. Je comprends entièrement. La veille de son départ, il me concède : « si jamais mon ami rate son vol, je t’emmènerai ». Le remerciant, je n’y crois guère mais j’apprécie tout de même le geste. Quelques heures plus tard, il revient vers moi : « mon équipier s’est brûlé la main en bricolant, il ne viendra pas ». Super nouvelle ! Rassurez-vous il va bien, c’est juste un petit bobo au mauvais endroit (mais au bon moment !). Comme quoi, la chance arrive souvent là où on l’attend le moins. On devrait partir le lendemain… Mais le Maroc en a décidé autrement ! Le visa de Thierry a expiré d’un jour et la marina d’Agadir est un bon casse-tête administratif avec la police, la douane et la gendarmerie royale. Un policier lui a confirmé que ça ne posait pas de problème pour quelques jours et que les autorités le laisseront partir sans rechigner. Mais en pratique tout ne s’est pas passé comme prévu ! Si bien que nous avons quitté le port quatre jours plus tard après moultes péripéties pour Thierry qui courrait entre le tribunal, la gendarmerie et le consulat !

Lanzarote se dessine au loin

Moins d’une trentaine d´heures plus tard, Lanzarote commence à se dessiner au loin. Il m’aura fallu presque un mois et demi pour arriver à mes fins…