La partie kayak est mise en sommeil jusqu’au retour. A partir de maintenant c’est à pied que nous progresserons. A travers la jungle, sans layon (= sentier), nous suivrons un cap et essayerons de longer les lignes de crête. Nous croiserons quelques surprises sur le chemin avant d’arriver au but tant recherché, celui pour lequel nous avons fourni tous ces efforts ! Ci-dessous une petite carte de notre épopée jusqu’à l’inselberg : en noir la partie en pirogue 3 heures), en bleu en kayak (2 jours), en rouge à pied (2,5 jours).
J5 – Samedi 17 : 5 km à pied, ça use, ça use
Après le petit-déjeuner, nous commençons à nous organiser pour partir avec des sacs les plus légers possibles. L’idée est de partir qu’avec des repas froids et de mutualiser une partie de la nourriture. Une fois paquetés, nos sacs avoisinent les 12-13 kg pour 6 jours d’autonomie. Nous partons avec une bâche et une machette pour deux.
Le départ est rude. En 45 minutes nous enchaînons eux montées-descentes très raides. On a parcouru 500m à vol d’oiseau. On marche à l’azimut direction plein Nord-Nord Ouest. Plein cap sur le sommet de l’inselberg. Avec la déclinaison magnétique de 18° il suffit de suivre le nord magnétique !
Sur le chemin, on verra de nombreux hoccos et une dendrobate (noire et jaune).
A la fin de la journée nous aurons parcouru 5 km (en 5h de marche environ).
J6 – Dimanche 18 : Gros sur le caillou
Théoriquement il nous reste encore deux jours de marche jusqu’à l’inselberg. Départ tranquille du camp vers 8h30. Ce jour là nous traverserons de nombreuses criques et leurs marécages. Nous essayons de faire attention où nous mettons les pieds mais la plupart du temps c’est impossible de rester concentrer à regarder ses pieds… Sur notre chemin, nous croiserons une ruine de camp d’orpaillage avec ses restes de barils de pétrole rouillés. Et oui, l’homme laisse même des traces au beau milieu de la forêt amazonienne !
Lors du déjeuner, nous faisons un point GPS : il ne nous reste que 2,3 km avant l’inselberg ! Nous y serons certainement ce soir. L’après-midi nous progressons assez vite car le terrain est plat et la forêt est peu dense.
L’accès à l’inselberg se fait par l’ouest (côté le moins raide). Or nous arrivons du sud-est. Une fois la partie sud contournée nous arrivons à un mur de végétation. Herbes coupantes et lianes denses nous feront face. En plus, nos réserves d’eau sont vides, et il est fort probable qu’il n’y ait pas d’eau sur le caillou… C’est la première fois que nous prions la pluie de tomber ! Il est environ 14h30-15h quand le tonnerre commence à gronder. C’est notre chance !
On tend la bâche et pendant que je récupérerai l’eau, Christian ira chercher un accès pour monter sur l’inselberg.
20 minutes plus tard, les bouteilles sont pleines et Christian est de retour. Nous monterons à travers bois et dès que l’inselberg sera plus plat, nous passerons sur la roche. Juste après la pluie, les inselbergs sont généralement très glissants. Christian, avec sa paire de chaussure neuve ne risque rien ; je ne peux pas en dire autant de mes vieilles pompes… Je ne suis pas très rassuré.
Sur le rocher il y a deux types de végétations principales : des touffes d’herbe (coupantes la plupart du temps) et des arbustes aux formes rondes. Sur l’inselberg trempé, nous préférons marcher directement sur ces touffes coupantes plutôt que de glisser à toute vitesse vers elles ! L’ascension est plutôt courte et nous nous retrouvons assez vite sur un campement idéal.
En moins d’une semaine, moyennant une cinquantaine de litre de pétrole, nous avons atteint notre objectif !
J7 et J8 – lundi 19 et mardi 20 : Chill sur le mont Chauve
Pas grand-chose à faire ici haut, à part : manger, discuter lire, méditer, contempler, se reposer.
Mardi, nous sommes partis en exploration sur la face nord et est. Première tentative infructueuse : nous sommes bloqués par un mur de végétation. Puis nous décidons de contourner par le sud via une portion de forêt. Après quelques minutes de marche, un spectacle s’offre à nos yeux !
J9 et J10 – Mercredi 21 et jeudi 22 : retour au camp
Notre jour sur l’inselberg est terminé. Il est temps pour nous de retrouver nos chers kayaks et nos boîtes de cassoulet ! Cela fait 6 jours à manger cru, il nous tarde donc de déguster un plat chaud. Au pied de l’inselberg, dans la forêt, des manaquins casse-noisette célèbrent notre départ. Ces oiseaux font la cour à plusieurs pour s’attirer le charme de la femelle spectatrice.
Très peu d’observations par la suite. Le premier jour de marche nous effectuerons presque 7 km, le tout en évitant la plupart des marécages traversés à l’aller.
La seconde journée, c’était un peu les montagnes russes. Beaucoup plus valloné que la veille. Aorès 5 bonnes heures de marche nous voilà au campement. Exténués, avec qu’une idée en tête : manger chaud. Nous prévoyons de passer deux jours ici et d’essayer de pêcher. Le niveau de la crique est toujours haut, mais elle a baissé d’un mètre pendant notre escapade.
J11 et J12 – Vendredi 23 et samedi 24 : pêche et repos au camp de base
Quelques tentatives infructueuses de pêche… Une fois tous les yayas du secteur pêchés, et dévorés dans les trappes posés nous nous résignons. C’est soit parce que le niveau d’eau est trop élevé, ou parce que nous sommes de mauvais pêcheurs !
J13 – Dimanche 25 : Descente du Grand Machikou
Ça fait aujourd’hui douze jours que nous sommes déconnectés. Notre départ du camp de base rime avec lent retour à la civilisation. Quatre jours « tranquilles » de pagaie nous séparent de Régina et trois de plus seront nécessaires pour rallier Cayenne.
On plie ce camp plein de souvenir. Nous y avons passé cinq nuits !
Comme le niveau de l’eau a baissé, le passage des obstacles est légèrement différent. Je garde une légère appréhension de mes accidents du premier jour à chaque passage d’obstacle (mais le courant est plus faible et nous allons dans le bon sens). Pour la première fois nous arrivons à un vrai chablis, càd un tronc en travers de la crique qui relie une rive à l’autre. Christian a bien l’habitude et la technique pour les passer. En plus, son kayak est vraiment adapté à ce genre de manœuvre. Au contraire du mien, le kayak de mer est fait pour y être installé pendant des heures et ne pas en sortir. Le faible courant de la crique me permet néanmoins e réaliser la manœuvre aussi aisément que Christian. Au moment de remettre mon kayak à l’eau, Christian murmure d’une voix excitée : « Une loutre ! Elle sort de l’eau. »
C’est une jeune loutre géante. Elle est montée sur le tronc depuis la rive opposée. Elle se dirige vers nous d’une démarche hésitante, le regard vers l’amont, songeuse. Nous l’admirons, immobiles. Soudain, nos regards se croisent, elle est à quelques mètres. Après un furtif coup d’œil vers la crique, c’est le plongeon.
Contents de notre observation, nous reprenons la route. Sur l’Approuague, c’est l’autoroute à pirogue. Sur la journée, nous en croiserons une quinzaine. Tantôt vides, elles descendent le fleuve jusqu’à Régina pour les approvisionnements ; tantôt pleines, elles remontent vers les camps d’orpaillage pleines de vivres et d’essence. C’est souvent le même spectacle qui s’offre à nous : une coque alu remplie à la limite de flottaison et un moteur hors-bord de la taille du piroguier (en général 200 CV) ! Quatre à cinq jeunes sont allongés sur les sacs de nourriture.
En début d’après midi, nous arrivons au saut du Grand Machikou. Ici nous attend une longue séance de portage que nous ne sommes pas pressés d’effectuer. Le premier portage se fait assez vite, trois aller-retours suffiront. Lors du dernier voyage, trois pirogues d’orpailleurs arrivent en haut du saut. Intrigués, nous les observons descendre la première marche du saut… en marche arrière !
La pirogue part avec à bord le piroguier, seul. Pendant ce temps, quatre ou cinq brésiliens amortissent la descente en retenant la pirogue par une corde. Une fois la pirogue à plat, la marche franchit, le takari rejoint le piroguier qui donne une franche accélération pour remettre la pirogue dans le sens de descente.
Apparemment la marche suivante est impossible à descendre car ils empruntent le sentier de portage. Nous sommes impressionnés par la manœuvre dans le saut. Lorsque nous revenons à notre portage de kayak, plusieurs brésiliens nous proposent spontanément leur aide, que nous déclinons poliment. Arrivés à la mise à l’eau, une question primordiale nous vient à l’esprit : à quoi ressemble le prochain portage dans ce sens ? Douze jours plus tôt nous avons effectué le trajet dans l’autre sens et nous étions partis d’une berge bien cachée par la forêt.
Christian se propose d’aller en éclaireur pour voir l’état des rapides et éventuellement de trouver le dégrad. Pendant ce temps là, les brésiliens remettent leur dernière pirogue à l’eau. Au retour, Christian est partagé. Il lui semble possible de franchir les deux prochaines marches avec son kayak, mais il ne veut pas trop s’avancer sur le résultat avec le mien.
En plus, on ne sait pas à quoi ressemble les rapides d’après…
Les brésiliens ont fini de charger leurs pirogues et s’apprêtent à repartir. Une option pour nous serait de passer le saut avec eux.
Quelques palabres suffirent pour que quatre brésiliens embarquent nos kayaks en deux temps trois mouvements. C’est parti pour dix minutes de sensations fortes !
Nous sommes quatre dans ma pirogue, dont un pilote au moteur et un takari à l’avant, à la pagaie. Ce dernier indique au pilote le meilleur chemin à emprunter dans les rapides. Il pagaie de temps en temps pour aider le bateau à pivoter. Une petite dizaine de marches se suivent avec des rapides plus ou moins forts. Lorsque le courant commence à nous emporter, un franc coup d’accélération suffit à nous remettre droit. A chaque coup d’accélérateur, je sens mon cœur qui lui aussi suit le moteur. L’adrénaline monte durant cette descente, certains rapides forment des vagues de plus d’un mètre.
Heureusement que nous ne nous sommes pas aventurés en kayak dans le saut car le risque d’accident était élevé !
Le saut passé, les pirogues semblent parties pour nous emmener encore loin. Celle de Christian est devant moi mais je l’ai perdue de vue depuis un moment déjà… Après quelques minutes de navigation, je vois les deux pirogues arrêtées au milieu du fleuve. L’atmosphère est détendue, cigarettes au bec et tasse de café en main. On sent que le stress du saut doit s’évacuer.
Nos hôtes veulent nous emmener jusqu’à Régina, mais nous leur expliquons qu’ils peuvent nous laisser là car nous voulons continuer à la pagaie. Perplexes, ils nous aident à débarquer, toujours le sourire aux lèvres. A peine remerciés, ils reprennent leur trajet vers Régina !
Cette expérience était formidable, naturelle et très excitante !
Nous bivouaquerons deux heures plus tard dans une petite crique.