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Ici se joue une étape clef du voyage : traverser l’Atlantique. Le « vrai » bateau-stop commence à Las Palmas car c’est à la croisée des routes marines transatlantique. D’ailleurs, la Mini-transat, une course sur petit bateau (6.5 m), a commencé de Bretagne et passé par les Canaries ! Quatre mois après mes premières foulées sur l’archipel, j’y étais encore. Que le temps passe vite !

Pour ne rien arranger à la difficulté du bateau-stop, j’étais parti avec une contrainte : rejoindre mon ami Jorge au Chili pour skier en Septembre. Les différents délais accumulés (surtout à cause du bateau-stop), rendait la tâche difficile mais réalisable… Sous réserve que je trouve un bateau rapidement. Ainsi je me donna jusqu’à mi-août pour trouver un bateau, sinon j’abandonnerai le plan ski pour cette année… En réalité une troisième option était envisageable. Mais elle impliquait de prendre l’avion.

Fin décembre je suis arrivé en Guyane française à bord d’un petit voilier de 9m. Et j’en suis co-propriétaire. En octobre, nous avons décidé avec deux autres voyageurs de forcer un peu le destin, et de traverser l’Atlantique sur notre propre bateau. Cet article n’est pas le sujet de cette histoire par contre. Mais il raconte mon long séjour sur Gran Canaria, une île dont je suis tombé amoureux tant par les rencontres, que grâce à ses paysages.

Ici ma stratégie de bateau-stop a un peu changé par rapport au Maroc : je ne veux pas rester tout le temps à la marina. Début août, la fenêtre pour arriver courant septembre en Amérique était toujours ouverte. Mais elle se refermait doucement. Chaque jour qui passe m’éloignait de mon projet de ski au Chili.

Prendre ses marques

Première visite de la marina de las Palmas. Elle est gigantesque. Je vais donc me présenter à l’administration et demande un endroit pour afficher mon annonce. J’ai l’impression de les déranger… un homme au téléphone me dit vaguement qu’il y a un tableau d’affichage de l’autre côté, et il reprend sa conversation. Bon, je pense que ces gens là ne vont pas trop m’aider… Heureusement j’ai quelques contacts ici : un anglais m’a donné le numéro d’une amie qui habite sur son bateau, et je contacte aussi Ivo et Dajana, un couple d’ami d’un ami de Thierry. Le réseau marin, ça compte beaucoup !

La plage de Las Alcaravaneras jouxte la marina. Je la longe en rentrant. Là, je rencontre un couple français qui fait le tour du monde sans argent. Pour vivre, ils fabriquent des bracelets, cela leur permet d’acheter leur nourriture journalière. Ils dorment sur la plage et me confirment que c’est toléré. L’avantage ici ce sont les douches et les casiers pour entreposer les sacoches. Demain, je vais de toute manière poser une majorité de mon bardas chez Yesenia, une grancanaria cyclo-voyageuse.

Yesenia dort chez sa mère, elle ne peut donc pas vraiment m’héberger. Mais elle me propose de laisser des affaires chez elle, ce qui m’arrange bien ! Je garderai donc le minimum pour dormir (duvet et bâche) et de quoi manger (réchaud, nourriture). Ainsi, je m’allège de presque 30 kg !

Après un long échange sur son voyage et nos différentes expériences, elle m’invite à l’accompagner, elle et un ami, à la plage. Excellente après midi en compagnie de ces locaux, malgré le vent et la marée haute. Son ami nous emmènera aussi visiter des grottes dans la vallée de Temisa. 

Je décline l’invitation au concert de ce soir pour me reposer. Yesenia m’informe aussi d’une grosse fête au village d’Agaete qui a lieu demain : la Fiesta de la Rama (fête des rameaux).

Cette fête a lieu un jour avant une cérémonie en l’honneur de la Vierge. Pendant cette cérémonie, une grande procession part de la ville d’Agaete (en bord de mer) et monte jusqu’au bateau de la Vierge dans la montagne. Lors de la fiesta de la Rama, les rues d’Agaete sont pleines de danseurs et de musique. Tout le monde agite ses rameaux.

J’essaie de m’y rendre en auto-stop, mais c’est un échec. C’est donc en guagua (nom local des bus) que j’irai ! Le bus est plein, les jeunes chantent, ça me rappelle d’une certaine façon les excursions en école d’ingé et ses chansons paillardes. 

Dans le bus, je recois un message de Toni, un autre hôte Warmshowers. Il ne peut malheureusement pas m’héberger aujourd’hui car il est… à la Fiesta de la Rama ! Je passerai une partie de la fête avec lui, puis je rejoindrai Yesenia et ses amis. Mais, dans cette marée humaine, je ne réussirai pas à permettre aux deux groupes de se rencontrer ! Les rues sont pleines, la musique s’entend partout, des montagnes d’ordure balisent les intersections. Je suis en même temps content de ce hasard de calendrier, mais n’ai pas trop la tête à la fête. Peut-être est-ce parce que j’ai laissé mon vélo sur la plage à Las Palmas ?

Le port de Las Nieves offre une vue preciosa sur les falaises de Tamadaba. Ce décors est surréaliste. Les falaises tombent à pic dans la mer. Ce pourrait être un paysage digne de la Bretagne, mais les 30 degrés et l’air sec nous ramène vite à la réalité ! J’espère revenir fouler les sentiers que je vois dans la montagne. Comme souvent, les fêtes me lassent au bout d’un moment et la nuit vient de tomber. La fatigue ne me permet plus de bien communiquer en espagnol, donc je décide de rentrer. 

Merde, j’ai oublié un détail. Toutes mes affaires sont dans la voiture de Toni… Que j’ai perdu depuis bien deux heures. Si je l’attends, je risque de passer la nuit ici. Mais ce qui m’inquiète le plus c’est mon vélo sur la plage, à Las Palmas. N’ayant rien à perdre, je vais quand même vérifier que Toni et sa copine ne sont pas déjà rentrés au van. Ce n’est malheureusement pas le cas. Que ferai-je si j’avais une voiture, mais que je risquerai de perdre mes clefs (par ébriété ou dans la folie de la fête) ? Je laisserai sûrement mes clefs sur l’une des quatre roues. Bingo ! C’est exactement ce qu’ils avaient fait ! Mon sac sur le dos, je repris donc le chemin de l’arrêt de bus et pu rentrer rapidos à Las Palmas, retrouver mon doux étrier.

Mon séjour ici commence bien !

Deux micro-aventures à la voile

La marina n’est pas toujours le bon endroit pour rencontrer des marins. A Las Palmas, j’en rencontra deux par des moyens très différents. Le premier, Jean-Luc, je le croisai à la bibliothèque. Le second, Julien, par le biais d’amis jongleurs. Et j’ai eu la chance de partager deux aventures similaires, sur deux bateaux bien différents.

Le plus marrant avec Jean-Luc, c’est qu’il vient lui aussi de Grenoble et qu’il a travaillé dans tous les lycées où je suis passé (LGM et Champollion). Il est arrivé aux Canaries il y quelques années déjà avec le rêve de traverser. Mais ce rêve ne s’est pas encore réalisé, faute de trouver un équipage. Aussi peut-être grâce aux Canaries et à leur cadre de vie idéal : micro-climat bon toute l’année, coût de la vie très bas, la nature et la ville sont côte à côte.

Il me propose de partir naviguer avec lui. Le plan n’est pas précis, mais nous pourrions faire le tour de Gran Canaria à la voile. Ce serait bien bénéfique pour ma formation personnelle et me donne l’occasion de sympathiser avec un potentiel futur capitaine. Ainsi nous mettons les voiles vers Agaete. J’aurai donc la chance de revoir ses magnifiques falaises, mais depuis la mer cette fois. Mon vélo m’accompagnera, comme ça je suis autonome et je peux rentrer quand je le souhaite. Surtout je n’ai pas à le laisser dans la rue pendant une durée indéterminée.

Nous partirons tôt le matin pour profiter de conditions météo favorables. La distance à parcourir est très faible, mais nous avons 5 milles de près. Une allure peu confortable, à laquelle le bateau de Jean-Luc n’est pas très performant. D’autant plus que sa coque est assez sale. Le cap de la Isleta franchi, il ne reste que du portant pour rejoindre Agaete. Sans surprise, la traversée se passe bien. Jusqu’à l’entrée dans le port. Ici, Jean-Luc avait prévu de jeter l’ancre et de profiter du mouillage, mais vu la puissance du vent à ce moment, nous nous résignons à prendre ce risque. Par chance, il reste une petite place dans ce minuscule port de pêche. Après un jour de repos, je partirai deux jours dans la montagne, pour randonner. A mon retour, mon capitaine m’informe qu’il compte peut-être rester plus longtemps ici, et qu’il continuera le tour de l’île plus tard. Je décide donc de rentrer à vélo sur Las Palmas. S’il a besoin de moi, je reviendrai en bus. Sur la route, il y a plusieurs randonnées que j’aimerai bien faire. Ces dernières sont racontées un peu plus bas dans l’article.

En rentrant sur Las Palmas, j’irai dormir sur un autre bateau. Un bateau pirate ! L’Alcyone appartient en partie à Julien. Cela fait moins de deux ans qui l’a acquise avec d’autres potes dans le cadre d’un projet particulier. De faire voyager une troupe d’artiste et d’offrir des spectacles sur la route. Une fois le bateau acheté, ils ont passé quelques semaines à le remettre en état. Enfin, les Gentilhommes et Femmes de Fortune ont pris la mer en 2018 direction le Maroc. Ici, ils ont pu faire quelques spectacles, dans la rue et dans des écoles. L’accueil a été aussi chaleureux qu’il le fut pour moi. Ensuite ils prirent la direction des Canaries, une escale obligée pour le monde du spectacle, tant les îles sont habitées par des circassiens du monde entier. Après une tournée des îles bien intense, c’est à Las Palmas qu’Alcyone se reposait, avant de reprendre le large.

Alcyone et les copaings

J’ai eu la chance de rencontrer Julien qui m’a offert un excellent séjour à bord d’Alcyone. Avec cinq autres matelots, nous avons également navigué vers Agaete. Car un vieux ketch de 13m nécessite d’avoir de la main d’oeuvre pour la plupart des manœuvres. Ce fut aussi une belle aventure, associée à des rencontres intéressantes.

La culture hippie des Canaries

Changer le monde, changer le monde, vous êtes bien sympathiques, mais faudrait déjà vous levez le matin. je sais pas si vous êtes au courant mais le monde il vous attend pas. Le monde il bouge. Et il bouge vite. Vous allez pas tarder à rester sur le carreau, je vous le dis. Parce que là vous êtes en vacances, très bien. Mais à la rentrée… – On est pas en vacance. – OK admettons. vous avez pris une année sabbatique, très bien. Mais l’année prochaine. Vous avez pensé à ça : l’année prochaine ? C’est pas le monde qui va se plier à vos désirs les enfants. C’est pas 68 : « aller la jeunesse ». C’est pas comme ça que ça se passe. C’est le vrai monde dehors. Et le vrai monde il va chez coiffeur, déjà. Alors gnagnagna la guitare, les troubadours tout ça c’est fini.

Hubert Bonisseur de la Bath

Qui se cache derrière ce mot ? Quels idéaux ? Quel(s) mode(s) de vie ? Pourquoi sont-ils aux Canaries ? J’ai découvert à Grand Canarie un monde que je ne connaissais pas vraiment, mais avec lequel j’avais déjà des affinités. Les hippies des temps modernes ne sont pas si différents de leur ancêtres. Le mouvement commença au début des années 60 aux Etats-Unis, porté en grande partie par la jeunesse du baby boom de l’après guerre. Ces jeunes défendent surtout la paix et rejettent la société de consommation. Partageant des valeurs égalitaires et écologistes, les hippies sont aussi souvent contre le développement technologique auquel ils préfèrent les choses « naturelles » et parfois mystiques.

Ainsi je rencontrai des gens de tout âge, mais surtout des jeunes (moins de 30 ans), qui vivaient quasiment sans argent sur l’île de Grand Canarie. Aujourd’hui, je regrette un peu de ne pas avoir échangé plus longuement sur leur philosophie, leur mode de vie. Je peux néanmoins décrire ce que j’ai vécu et partagé avec ces gens là.

C’est par hasard que je rencontrai Superman. Il vient de Slovénie, et vit dans la rue depuis quelques années déjà. Chaque jour il suit un programme d’entraînement bien chargé. Musique, jonglage, développement physique, travail de l’équilibre et acrobaties rythment sa journée. Son but étant de s’améliorer dans ces spécialités là. Aussi trouve-t-il le temps de « travailler » au moins 2-3h par jour. Au semáforo (feu tricolore). Son show est bien rodé, mêlant jonglage de balles et danse hip-hop, il commence une fois le feu rouge et termine quelque seconde avant le passage au vert. Laissant juste le temps pour passer entre les voitures avec son chapeau. De quoi récupérer entre 5 et 10€. C’est sur la plage d’Alcaravaneras que nous nous rencontrâmes la première fois. Sa slackline était tendue entre les palmiers et je lui demandai si je pouvais l’essayer un petit peu. La seconde fois où nous nous croisions, il me propose une chambre dans le squat qu’il occupe en ce moment.

Une proposition que j’acceptai rapidement. Pour voir surtout. Des squats à Las Palmas, il y en a une floppée ! Celui-ci était en centre ville, pas loin de la Puntilla, sur la plage touristique de Las Canteras. Il était occupé par moins d’une dizaine de personne d’origine de l’Amérique du Nord, du Sud, d’Europe de l’ouest. Bref, un bon melting pot, majoritairement masculin. On ne peut pas dire que l’hygiène atteignait des sommets, mais nous avions tout de même l’électricité (pirate) et nous nous organisions pour récupérer de l’eau comme on pouvait. Les problèmes classiques de la vie en colocation n’épargnaient pas les squats : le nettoyage, la gestion des ordures, faire les courses, etc… Mais comme pour les colocs classiques cela dépend surtout des colocataires ! Ainsi, un autre squat que j’ai visité était bien mieux entretenu. Les gens qui y vivaient avaient aussi une plus grande expérience et plus de stabilité « professionnelle » que mes colocataires provisoires.

Bref, le plus intéressant dans cette histoire c’est comment nous faisions pour subvenir à un de nos besoins vitaux : la bouffe. Pour cela nous faisions du recyclage. Au cours de mon séjour, j’ai expérimenté plusieurs techniques de récupération de nourriture gratuite. En plus d’être économique ce geste permet d’éviter beaucoup de gaspillage alimentaire.

Kilo de nourriture gaspillé en pourcentage à chaque étape de la chaîne alimentaire

On voit sur la figure ci-dessus que l’on peut récupérer des aliments à plusieurs niveaux et qu’il ne faut pas nécessairement aller les chercher dans les poubelles. Même si cette méthode est en général la plus employée. A Las Palmas, nous allions donc visiter les containers des supermarchés en fin de journée pour y récupérer : des fruits et légumes, des produits laitiers et de la viande (conditionnée). Ces produits se retrouvaient à la benne à cause de leur date de péremption ou de leur état dégradé, mais ils étaient tous encore comestibles. C’est tout les jours la grande loterie car on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

Les poubelles des particuliers peuvent aussi contenir de belles surprises.

Pour ceux que cela rebute de plonger dans les bennes (l’expression anglaise est le dumpster diving), il existe aussi une méthode plus propre : demander directement aux restaurateurs leurs restes. En général, et comme pour les supermarchés, la plupart des boulangeries donnent déjà à des associations comme la croix rouge. Mais étant donné les grandes quantités qu’ils jettent et que la croix rouge a aussi du mal à écouler ses stocks, c’est une négociation assez facile. La plupart du temps, ces magasins vous demanderont de passer vers la fermeture pour récupérer ses restes.

Aujourd’hui il existe même des applications pour aider soit directement les consommateurs finaux ou les restaurateurs à écouler leurs invendus. C’est par exemple le cas de Phenix (courses anti-gaspi) ou de Too Good To Go. Ma seule expérience avec la seconde était au Danemark où nous avions profité d’un excellent brunch dans une boulangerie, pour un coût plutôt modique dans ce pays où les restaus sont chers.

Une grande partie du gaspillage ayant lieue dans nos frigos, il existe également des applications pour nous aider à mieux surveiller les produits en fin de vie. C’est le cas de A consommer ou Dans mon frigo. Je n’ai par contre aucun retour d’expérience personnelle à faire là dessus. Essayez vous verrez par vous même !

Au final, je me retrouvai assez bien dans certains aspects de la philosophie hippie, notamment le respect de la nature, l’anti-gaspi, la notion anti-conformisme du travail, la critique de la société de consommation. Je ferai un petit point dans un prochain article traitant des questions économiques sur notre rapport au travail (basé sur les travaux de Frédéric Lordon et Bernard Friot en particulier).

Mais il y avait aussi des points sombres qui m’attiraient un peu moins : le goût pour le chamanisme et certains trucs spirituels, l’inaction, le rejet de la technologie, les addictions et la violence. Pour ne pas m’étaler trop sur le sujet, je vais détailler certains des points précédents.

Parler d’inaction peut paraître un peu exagéré car leur boycott de la plupart des biens de consommation est une action en soit assez forte. Ce qui manque selon moi au mouvement c’est un peu de militantisme et d’actions « politiques », pour toucher plus de gens. Aussi les hippies que j’ai rencontré avaient pas mal de temps libre et l’occupaient malheureusement surtout à boire ou à fumer.

Bien sûr j’ai aussi rencontré des gens qui ne buvaient pas, mais ils sont en général marginaux. Peu de gens que je fréquentais consommaient des drogues dures mais beaucoup avaient déjà essayé. L’alcool reste selon moi le plus grand fléau, en parti car il est banalisé. Un sujet un peu tabou, chez les jeunes mais chez les vieux aussi je trouve, qui mériterait qu’on s’y attache un peu plus. Cela ne concernait pas que les hippies, mais aussi beaucoup de voyageurs, que je renommerai bien les néo-nomades. Cela correspondrait à des gens plutôt jeunes (23-35 ans) qui voyagent sur de longues durées (supérieures à 6 mois), mais travaillent aussi pour financer leur voyage. Les emplois (précaires ?) à la mode en ce moment sont surtout le woofing1, travail à la ferme (bio ou permaculture), ou dans le secteur du tourisme (tour guidé, auberge de jeunesse, etc).

Juste un court aparté à ce sujet. Je ne sais pas vraiment si je dois me réjouir de voir autant de néo-nomades. D’un côté, cette nouvelle m’égaie de rencontrer autant de gens, ouverts d’esprit, multi-lingues, qui prennent le temps de voyager, de découvrir, en soit d’expérimenter de nouvelles façons de vivre. De l’autre, c’est pour beaucoup l’occasion de faire la fête tous les jours et de procrastiner à l’infini. Et malgré la sensibilité, ou mode, végan présente chez beaucoup, ces personnes me semblaient complètement déconnectées de la réalité environnementale. En effet, le néo-nomade use en général abusivement de l’avion, il passe tout ses lendemains de « cuite » sur Netflix et contribue au tourisme de masse. Seuls les quelques sujets « à la mode » sont sur toutes les bouches : véganisme, zéro déchets, tiny house, bio/permaculture, etc… Bref, affaire à suivre, je vais sûrement en rencontrer d’autres sur ma route !

Revenons en à nos moutons alcoolisés.

Dans mes recherches sur ce sujet, je n’ai pas réussi à trouver des informations très précises sur la consommation des jeunes adultes. La plupart de ces dernières se focalisent sur la consommation des mineurs. Je ne pourrai donc pas confirmer ou infirmer mes observations du terrain, par contre sur le long terme on voit clairement une baisse (globale, mais encore plus chez les gros buveurs de français) de la consommation. A mon échelle, je voyais surtout une consommation régulière (quotidienne) d’au moins un litre de bière, dans un public de 20-30 ans.

Serait-ce la perte de repère de la jeunesse dans un monde qui atteint ses limites ? Les adultes aussi peuvent s’y perdre. Au moins lorsque l’on est saoul on oublie. On oublie l’absurdité du monde. Est-ce signe d’un malaise ou seulement la recherche de « fun » ?

Pour clôturer ce chapitre sur une note un peu plus gaie, j’aimerai aborder le thème du cirque et du spectacle de rue ! Car si j’aime peu associer la fête à l’alcool et autres déboires, l’esprit circassien est plus à même de me faire sourire.

Apparemment très présents en Amérique latine, les jongleurs et acrobates courent aussi les rues des Canaries. Et ils appartiennent eux aussi à la communauté hippie. Si cela peut être vu comme leur gagne pain, je peux vous assurer que c’est aussi et d’abord une passion. Certains sont plus clowns que d’autres. Mais derrière un numéro, si anodin soit-il, se cache des centaines, voire milliers, d’heures d’entraînement. Leur vie est aussi simple que leurs rêves sont grands. Mais ces artistes des rues ont de l’énergie et de la joie à revendre. Ils sont selon moi, des messagers d’espoir et de gaieté, qui offrent un accès à l’art au grand public. Merci à vous, clowns des rues !

Artistes et stoppeurs – la fine équipe

Superbes randonnées, mais forêt cramée

Sommet rime toujours avec randonnée ! Et Grand Canarie cache bien son jeu, car on oublie vite les montagnes avec la vie foisonnante et excitante de Las Palmas. Pourtant, une fois dans les barrancos (étroites vallées, canyons), on se retrouve complètement coupé de la civilisation. La nature est par endroit aussi sauvage qu’à Ténérife ou Fuerteventura. Pour cela, il faut oser s’aventurer hors des sentiers battus.

Agaete – La Aldea de San Nicolas

Tamadaba est un parc naturel de l’île, il surplombe Agaethe, caché derrière d’immenses falaises. Je décide de partir un à deux jours explorer ces sommets et peut-être revenir vers le centre de l’île. Un peu de nourriture et le minimum pour dormir dans le sac, je mets le cap vers les cimes. L’ascension se fait le long d’une arrête pour rejoindre ensuite la forêt calcinée. Le feu de la semaine passée est bien arrivé jusqu’aux portes d’Agaete… Du sol jusqu’au premiers mètres des troncs, le noir domine, puis le marron a pris le dessus sur le vert des aiguilles des pins. Une odeur de cendre dans l’air permettrait même à un aveugle de sentir le destin tragique de cette forêt. Depuis le parc, le cœur de l’île se dévoile. Les barrancos sont partout, l’île est plus montagneuse qu’elle ne le paraît et plusieurs roque (gros rochers) impressionnants se pavanent et me tentent de les observer d’un autre point de vue ! La descente est plutôt rapide et mène à une route secondaire, au pied du plateau de Acusa Verde. 

Il est alors environ une heure de l’aprem, et 18 km me sépare de San Nicolas. Quatre heures de stop sans succès…. Je commence à regretter Ténérife.

Heureusement les supérettes ferment tard (en géneral vers 22h), j’ai donc le temps de me ravitailler au village de San Nicolas avant de m’éloigner vers la montagne pour bivouaquer. À 21:30 je suis dans mon duvet, les mollets un peu fatigués… 

San Nicolas – Tejeda

Une nuit un peu fraîche, j’ai refait la même erreur qu’à Ténérife : partir seulement avec mon sac à viande ! Cette technique a l’avantage de ne pas me laisser traîner au lit le matin ! Cette nuit, le thermomètre a du descendre jusqu’à 7-10 degC. Aujourd’hui j’aimerai traverser les montagnes d’Inagua, mais mon tracé n’est pas définitif. Je grimperai jusqu’à Degollada (col) de la Brujas puis suivrai la route des crêtes, enchaînant les sommets (lorsque le sentier y passait) : Las Yescas, Sandra, Morro de la Negra, Los Jarones. Au milieux, au sommet de Sandra, je rencontrerai un guetteur de feu. Sûrement un bomberos. Nous discuterons pendant mon déjeuner, et il me proposera un itinéraire jusqu’à la route. J’apprendrai que la zone que j’ai traversé est en réalité interdite, car zone de conservation. Je n’aurai croisé que des chèvres en effet… Le pompier ne pense pas que je risque une amende car la réserve est très mal indiquée depuis San Nicolas. 

Mes jambes sont un peu fatiguées des 50 km de la veille. Je serai donc assez lent sur cette seconde partie. Quelques minutes avant d’arriver sur la route, je vois un bus passer ! La bonne nouvelle c’est qu’il y en a, la mauvaise est que j’ai raté celui la… 

Deux heures plus tard toujours pas de bus, et le stop ne fonctionne pas…  je vais donc marcher jusqu’à Tejeda (environ 6km). 

Arrivé vers 20h là bas, on m’indique que les prochains bus passent le lendemain matin, je dormirai donc sur place, au pied de l’arrêt de bus pour ne pas le rater…

Pour retourner à Agaete, c’est l’aventure. Il n’y pas vraiment de liaison directe, je devrais donc repasser par… Las Palmas ! Départ de Tejeda à 7h, arrivée à 10h30 au port pour faire les 42 km qui sépare les deux villes (à cause du détour). Heureusement que j’avais ma liseuse avec moi !

Vélo rando – Roque Nublo

D’Agaete, je décide de rentrer sur Las Palmas à vélo en passant par le sommet de l’île : Pico de las Nieves. Comme à Ténérife, il y a des zonas de acampada ici aussi. On peut y passer la nuit en réservant sur Internet. A cause de l’incendie elles sont pour la plupart fermées. N’ayant pas d’autres endroits pour dormir j’y passerai néanmoins deux nuits. J’ai choisi Llanos Del Salado pour dormir, à 50 km, 1800 m plus haut que le niveau de la mer.

La route est peu empruntée et elle est superbe. Les vues plongeantes dans les barrancos sont impressionnantes. Le vent, toujours présent dans les Canaries, rafraîchit bien l’air ambiant. Mais la chaleur influe tout de même sur ma consommation d’eau, que j’ai terminé à mi-course. Par chance, je croise une source d’eau « commerciale ». Un peu avant Juncalillo, se trouve l’entreprise qui met en bouteille l’eau d’Aguacana. Au culot, je sonne à l’interphone. C’est avec un grand sourire qu’une employée m’amène généreusement deux grandes bouteilles d’eau bien fraîche ! C’est dans les moments comme cela que tous mes espoirs d’un monde meilleur et plus solidaire s’émoustillent.

C’est bien hydraté que je reprendrai la route. Plusieurs fois, je croise le chemin d’une forêt calcinée. Les ravages de l’incendie sont omniprésents.

Cruz de Tejeda est un noeud de circulation, là, c’est le choc touristique ! Plusieurs bus sont garés sur le bord de la route, au croisement et à plusieurs points panoramiques. Vivement que j’arrive au camp !

Sans surprise, je passerai la nuit seul. Les interdictions ont du bon !

Le lendemain, je laisserai le vélo à une sorte de camp de loisir à Llanos de la Pez, avant d’entamer une longue journée de rando. Au programme : l’ascension du classique Roque Nublo, puis rejoindre San Bartolomé de Tirajana, pour rentrer par Pico de las Nieves. Optimiste mais jouable !

Comme je vois que vos yeux sont fatigués par cette lecture longue et fastidieuse je vais laisser parler les images !

Pour conclure, c’était une superbe rando ! Malgré une fin sans eau un peu difficile ; et l’orientation bien compliquée sur la dernière partie. Aussi ai-je délaissé le Pico de Las Nieves avec ses antennes, pour le Pico de la Catedral.

Moins de voitures, moins d’incendies ?

Comme toujours, j’aime clôturer mes article par le point mobilité ! C’est plus un exercice d’analyse perso qu’une lecture que je souhaite partager, mais libre à vous de le parcourir !

La géographie particulière de l’île impacte nécessairement les déplacements de ses habitants et l’offre de mobilité. Or Grand Canarie est beaucoup plus vallonnée que les autres îles visitées. Mais la majorité de sa population habite sur la côte, la côte est, puis sud. Et cette partie est plutôt plate. C’est triste, du moins pour moi, de voir une triple voie automobile sur une île qui compte moins d’un million d’habitants. Ce littoral plat est idéal pour construire un train par exemple… Qui a d’ailleurs existé jusqu’en 1944 ! Un projet est en attente pour reconstruire une ligne de Las Palmas à Puerto de la Luz. Annoncé en 2004, les fondations n’ont pas encore vu le jour faute de financement… En lisant entre les lignes, on comprend vite que c’est par manque de volonté politique (+ sûrement un peu de lobbying).

Densité de la population de Grand Canarie
Le petit train côtier
Réseau de bus

Pour le moment, la côte et les terres sont assez bien couvertes par le réseau de bus local. Le maillage est plutôt complet, mais les horaires sont adaptés à une faible demande et une faible densité de population. Si les touristes étaient plus aptes à prendre les transports en commun, et s’ils étaient mieux informés, je pense que la cadence des bus pourraient être nettement augmentée.

Si le centre de Las Palmas est plutôt bien équipé en piste cyclables, ces dernières s’arrêtent une fois sorti de la ville. Impossible donc de rejoindre les autres « grandes » villes autrement qu’en… empruntant l’autoroute ! Il n’y a donc PAS d’alternative à la voiture offerte par la ville. Un bon point cependant, il est possible de mettre son vélo dans les coffres des bus (comme ils sont souvent vides).

Réseau cyclable de Las Palmas

Quelles solutions ?

Comme la voiture est très présente sur l’île, des aires d’autostop ou de covoiturage pourraient être facilement déployées. Je suis sûr que le covoiturage informel (avec les voisins ou la famille) existe déjà. Mais des aires réservées, inciteraient plus les automobilistes à prendre des gens.

En attendant le train, voir même en remplacement de ce dernier, un Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) pourrait occuper la côte du sud à l’est. Pour cela, une voie réservée serait mise à disposition et la cadence de passage serait élevée pendant les heures de pointe.

Enfin, une des premières mesures à discuter, c’est la taxation des carburants ! L’essence et le gasoil sont tous les deux soit détaxés (je suis pas sûr) soit taxés mais très avantageusement. Si bien que ce critère influe beaucoup le choix des usagers.

Le tourisme, qui représente une part important du PIB canarien, pourrait aider beaucoup au développement de l’infrastructure de transport en commun et cyclable. Encore faut-il axer la politique touristique dans cette direction là : informer au mieux les visiteurs des itinéraires cyclables, des agences de location de vélo, du réseau de transport, etc…

C’est dommage de visiter des contrées si jolies et sauvage mais l’où on ne prend absolument pas soin de son environnement. Aussi la conscience écologique ici est inexistante. C’est ce qui m’a le plus frappé lors de mon séjour. Plusieurs incendies ont bien ravagé l’île devant les regards impuissants des locaux. Mais aucun d’entre eux n’a fait le rapprochement, possible, entre l’utilisation de leur voiture et la destruction de tout ces hectares…

Hissé oh

Pour conclure cette partie, je vais parler rapidement de ma traversée. D’abord, j’écris en ce moment notre aventure sous forme d’un livre, car c’est un format qui me semble plus adapté qu’un article de blog.

Comme prévu, j’ai rejoint l’Amérique du Sud, en voilier ! Ce qui n’était pas prévu par contre, c’est que je traverse à bord de mon propre voilier. Je m’explique.

L’attente longue à Las Palmas et l’afflux massif de bateau-stoppeurs, laisse le temps aux projets les plus fous de se développer. Au cours d’une discussion avec deux copains, l’un d’eux proposa que l’on s’achète un bateau pour traverser. Un projet qui me bottait bien ! Quelques jours plus tard, nous avions acheter un voilier et commencions à le préparer !

La suite, au prochain épisode !

  1. Le woofing correspond à du bénévolat, parfois rémunéré, dans une ferme. En général, le gîte et le couvert sont offerts pendant la durée du stage.

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1 commentaire

  1. L’écriture me semble un exercice particulièrement complexe, c’est un domaine que je n’ai pas exploré et je suis curieux de lire le résultat… hâte d’en savoir plus sur ton livre ! Sous quelle forme envisages-tu de le diffuser ? Si tu cherche des avis de relecture un jour j’essayerai de prendre le temps 😉

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