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Voici une petite série d’articles qui raconte notre expédition de cet été, réalisée avec Christian. Le but était de rejoindre un inselberg (une montange-île, qui désigne un gros caillou surplombant la canopée) pas loin de l’Approuague, un des fleuves principaux de Guyane.

L’aventure s’est déroulée sur trois semaines de mi-juillet à début aout 2021.

Préparation

Christian est prof de physique-chimie en prépa en Guadeloupe. C’est lorsqu’il était en poste à Kourou qu’il est tombé sous le charme de la foret tropicale. Et malgré son départ du paradis vert, il y plus de cinq ans, il revient quasiment tous les ans pour passer ses vacances dans la jungle.

C’est sur un groupe Facebook qu’il posta des photos de sa dernière expédition sur l’inselberg de Nouragues. La raison : il cherchait un ou plusieurs partenaires pour l’accompagner dans sa prochaine aventure. Ses superbes photos, et son court récit d’épopée, à moitié en kayak et l’autre à pied, m’ont décidé à lui envoyer mes encouragements et à faire naître une petite envie de voyage chez moi. Mais je n’aurai jamais le temps de me libérer trois semaines cet été pensais-je….

L’idée ne m’a jamais abandonné. Et j’ai pris la décision de partir avec Christian début juin. Tout devait être organisé dans un délai d’un mois. Comme nous ne nous connaissions pas, nous avons échangé plusieurs fois par téléphone. Pour connaître les expériences et les attentes de chacun. Christian a une bonne connaissance de la foret et a l’habitude de passer des temps assez longs dans la jungle. Sportif, il pratique le kayak, la planche à voile régulièrement. Plusieurs expéditions en Guyane font parties de son palmarès : St Georges – Cayenne en kayak, l’inselberg des Nouragues en remontant la Comté, et j’en passe ! A côté, mon expérience de la foret est plus « light »…

Le courant passe bien, et j’ai un peu de temps de disponible pour gérer l’organisation d’ici juillet. La plus grosse partie logistique (comme souvent en Guyane) : le transport. En effet, il faudra amener nos deux kayaks jusqu’à Régina, petite ville qui borde l’Approuague, puis il nous faudra certainement être remorqués en pirogue un peu plus haut sur le fleuve si l’on veut tenir notre calendrier de trois semaines. Suite à plusieurs échanges avec beaucoup de monde, une organisation logistique complexe multi-acteur a permis de rendre l’expédition possible. Un GRAND merci à Camille et Max, Julien, Hervé, Virginie, Adrien, Cass, Marie, les garimpeiros, les inconnus de l’ilet la mer,… Et j’en oublie sûrement certain.e.s !

Un objectif : atteindre l’inselberg du Mont Chauve puis rentrer en kayak par la mer jusqu’à Cayenne. Les voies naturelles de déplacement en Amazonie ce sont les cours d’eau. Ils permettent de se rendre à peu près partout, moyennant une petite marche de quelques kilomètres.

Pour rejoindre le Mont Chauve, il nous faudra prendre deux « routes » : l’Approuague jusqu’au point kilométrique 120, puis la crique Couy pour une quarantaine de bornes. Enfin, il resterait moins de 10 km à parcourir à pied en pleine jungle, soit 2 bonnes journées de marche.

J1 – Mardi 13 : le grand départ

Ce matin on attendait Marie qui devait nous retrouver vers 6h30 au pied du mont Bourda (à Cayenne). Mais sa voiture en a décidé autrement… Sa batterie a choisi de mourir de vieillesse la veille. Marie, c’est une amie de ma copine qui vit sur un bateau.

7h : arrivée de Marie

7h30 chargement et départ pour récupérer batterie

8h00 : la batterie offerte est malheureusement trop grosse et ne rentre pas dans le compartiment…

8h30 : départ de Cayenne avec batterie neuve

Les présentations se font dans la voiture sur le trajet. Christian est prof de physique en classe prépa en Guadeloupe et Marie va reprendre ses consultations comme osthéo. Notre arrivée tardive à Régina (2h de retard…) est un peu problématique pour le guide car le trajet prévu est long (4h) et donc le retour avant la nuit pour le guide et son piroguier est compromis.

Nous chargeons néanmoins rapidement la pirogue et nous partons tout de suite après.

Sur la pirogue il est difficile d’échanger à cause du bruit du moteur, nous nous contentons donc d’admirer le paysage qui défile et les tortues qui plongent sur notre passage.

Arrivée à destination, le chargement est vidé aussi rapidement qu’il a été embarqué et nous sommes abandonnés aussitôt par la pirogue qui veut rentrer avant la nuit. Il doit être 14h30-15h. Le guide nous a conseillé de dormir sur l’ilet où il nous a déposé et de prendre le fleuve demain.

Mais l’impatience de l’aventure est trop grande, et malgré notre fatigue de la courte nuit, nous embrayons à kayak juste après un rapide déjeuner.

La première étape sera de porter le matériel au-dessus du saut du Grand Machikou.

Selon le guide, il faut une bonne demi-journée de portage. Nous sommes assez chargés (30 kg de matos + 20-30 kg de kayak). Le layon de portage est plutôt étroit et il est par moment difficile à suivre.

Après 2-3h de galère nous décidons de monter le camp et de terminer le portage demain.

A 20h au lit !

Mon kayak jaune ressort bien sur le fond vert de la foret

J2 – Mercredi 14 : Premiers coups de pagaie

Ce matin, réveil tranquille au camp. Nous savons que la matinée qui nous attend sera physique… Nous passerons près de 4h à tirer les kayaks à travers les layons.

Le dernier tronçon est large, c’est là que passent les pirogues. Un passage très court mais très boueux. On prendra le déjeuner à la mise à l’eau finale, en haut du saut. Couac-couscous-maquereaux : ce sera certainement le menu fétiche du midi pour 3 semaines !

Enfin, nous chargeons les kayaks pour l’aventure. Nous n’aurons plus de portage avant 30 km, à contre-courant.

Naviguer sur un fleuve est un bon moyen pour avoir une vue dégagée sur la canopée, et donc d’observer des animaux. Nous observerons assez souvent des capucins bruns.

Puis arrive la première mésaventure. La saison des pluies a bien chargé les cours d’eau guyanais et l’Approuague ne fait pas exception ! Le courant est très fort, et nous longeons les berges pour bénéficier du courant le plus faible possible. Mais des rapides ponctuels persistent par endroit. Lors de la première remontée de rapide, il faut ramer vite avec intensité. C’est très fatiguant physiquement (un peu comme un sprint) et psychologiquement (on avance millimètre par millimètre). J’ai l’impression de ne pas avancer… D’un coup, le courant m’emporte et fait pivoter le bateau qui vient s’arrêter sur une branche d’arbre coincée dans l’eau. Soudainement mon kayak se retourne, je me retrouve la tête sous l’eau sans autre choix que de m’en extirper en tirant sur la jupe. La tête hors de l’eau, j’ai ma pagaie dans une main et le kayak dans l’autre. En quelques secondes j’ai déjà parcouru une dizaine de mètres. Du regard, je suis ma popote qui prend le large… J’essaie de pousser mon kayak vers la rive, heureusement elle n’est pas trop loin. Cette situation m’a permis d’apprendre de mon erreur : ne jamais laisser du matériel dans le « cockpit » du kayak.

Christian qui était parti devant ne m’a pas vu me retourner. Lorsque je le retrouve, il pense que je m’étais arrêté pour observer un jaguar !

Deuxième essai de franchissement. Re-belotte ! Je me retourne au même endroit.

Cette fois je ne dessale pas complètement mais je dois m’extraire du kayak. Christian vient à mon secours. Il est plus à l’aise que moi dans cette situation. Grâce à son aide, j’arrive à passer.

Le soir, je cogite beaucoup sur les évènements de la journée et je me demande si je suis assez préparé pour partir trois semaines sur ce fleuve. J’ai l’impression que mon expérience est trop faible pour ces conditions de navigation. Je ne dormirai pas très bien.

J3 – Jeudi 15 : Début de la Couy

Grosse journée, presque 6h de pagaie. Plusieurs ibis verts sur le chemin. Encore une observation de capucins bruns et les chants de singes hurleurs percent la forêt. Attaqués par des fourmis foraces lors d’un passage de chablis, nous garderons des traces sur nos corps pendant quelques jours et les démangeaisons pendant quelques heures ! Des iguanes plongent des arbres à chaque virage. Nous sommes dans une sorte de forêt inondées/marécage. Le niveau d’eau est toujours aussi élevé. Nous parcourrons plusieurs kilomètres avant de trouver un endroit au sec pour bivouaquer.

J4 – Vendredi 16 : Saut Daudet

Peu à peu je retrouve un appétit normal. Je pense que j’étais un peu stressé les premiers jours. Surtout suite à mon « accident ». Un lien, une confiance commence à s’établir entre mon kayak et moi. J’apprends à le maîtriser de mieux en mieux. Aujourd’hui nous laisserons une partie de notre chargement au campement pour nous alléger (surtout de la bouffe). Et ça se sent sur l’eau : moins de coup de pagaie et plus de vitesse !

Après une bonne heure de pagaie, nous arrivons au saut Daudet, deux virages plus tôt Christian l’avait entendu.

C’est le saut le plus impressionnant du voyage : par sa longueur et sa puissance. L’écume et les vagues blanches se suivent sur 200m. Nous disposons de deux armes pour le vaincre : la patience et le topo du club de kayak de Cayenne. Ce dernier décrit avec précision le passage de chacun des sauts de la Couy. Pour celui-ci, nous devons tirer les kayaks dans un bras secondaire puis traverser pour un gros portage à gauche (après avoir traversé dans la crique). Mais le fort débit et le niveau d’eau élevé rendaient ces tâches plus difficiles. Christian, lui, commençait à douter de plus en plus de la résistance de mon kayak (en fibre) pour toutes les épreuves qui l’attendaient. En plus, il ne se sent pas suffisamment en forme pour être sûr de pouvoir m’aider aux franchissements.

Que faisons-nous ?

Option 1 : Forcer le passage et voir ce qu’il se passe. Au risque de nous retrouver bloqués plus loin (au prochain saut par exemple).

Option 2 : Rebrousser chemin et re-tenter l’aventure en saison sèche ? L’année prochaine ?

Option 3 : Tenter l’ascension de l’Inselberg depuis notre dernier campement.

C’est finalement cette dernière option que nous privilégierions. C’est une marche un peu plus difficile que celle prévue à l’origine mais cela nous semble un bon compromis. En plus, je rassure Christian en lui disant que je suis bon marcheur et que je me sentirai plus à l’aise que sur un kayak.

Pour cela il nous faut : du repos et bien optimiser nos sacs !

Dans le prochain épisode, l’ascension de l’inselberg, attention : vous allez en prendre plein les mirettes !

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2 commentaires

  1. Sacré Jules ! Tu sembles avoir enfin rencontré tes limites.
    Je suis heureux de cette aventure pour toi.
    Bizz mon vieux

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