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Les routes des voyageurs se croisent souvent au bon moment ! C’est à Gran Canaria que je rencontra Yesenia, qui a rejoint le Népal, seule, à vélo depuis les Canaries. Voici son histoire (pour celles·ceux qui ne parlent pas espagnol, le texte en français est retranscrit ci-dessous).

Peux-tu te présenter en une minute?

Je suis Yesenia, j’ai trente deux ans. Originaire des îles Canaries, je voyage à vélo depuis deux ans et demi. J’ai commencé à parcourir les îles à vélo, puis j’ai pris un bateau pour Huelva, dans le sud de l’Espagne. Ce voyage m’a emmenée jusqu’au Népal.

Ton projet est-ce juste un voyage à vélo ou tu as un objectif précis ?

Le vélo est comme un outil. C’est un objet qui offre beaucoup de possibilités : un voyage durable, un voyage peu consumériste, un voyage qui vous donne de la liberté. Mais mon voyage, c’est un voyage avec une perspective de genre, d’autonomisation. Je suis une personne féministe et je crois que tout le monde devrait l’être. Je me concentre sur les femmes que je croise en cours de route parce que je suis intéressée par la réalité des femmes locales. Je souhaite également inspirer ou aider d’autres femmes qui veulent voyager seules mais n’osent pas. Alors, à travers les réseaux sociaux et mon blog, j’essaie de partager mon expérience, ce dont beaucoup de femmes ont besoin pour franchir le pas et voyager seules.

Pourquoi défends-tu le féminisme?

Le féminisme, c’est la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est la lutte pour nous (les femmes NDLR) considérer comme des êtres humains. Nous vivons dans un monde patriarcal. En effet, toutes les sociétés du monde sont patriarcales d’une manière ou d’une autre. Rappelons-nous que patriarcat se produit lorsque le pouvoir religieux, politique, social et économique est entre les mains de la moitié de la population, composée d’hommes dans ce cas. Et que cette moitié soumet l’autre moitié de la population qui sont des femmes. C’est cela le patriarcat. Le féminisme est donc radical, et lutte spécifiquement pour détruire le patriarcat. Le problème du sexisme, du machisme, des inégalités se situe dans le système lui-même, appelé patriarcat. Si on y met fin, on met fin au problème.

Au cours de ton voyage, as-tu constaté de nombreuse différence concernant la position des femmes des pays traversés?

Bien sûr. Rappelons-nous, comme je l’ai dit précédemment, que chaque société patriarcale a une intensité et une forme différentes. Être une femme au Portugal n’est pas la même chose qu’être une femme en Iran ou être une femme en Espagne que d’être une femme au Népal. Parfois, les femmes ont fini par obtenir des droits dans certains pays et dans d’autres non. Donc, quelquefois, vous rencontrez des situations très difficiles car malgré que je vienne d’Espagne, une société dans laquelle il y a beaucoup de machisme, nous avons quand même accordé des droits à ma génération, mais pas à celle de ma mère. Alors que certains pays visités, j’ai vu des situations dans lesquelles les femmes ont des droits similaires à ceux de ma mère ou de ma grand-mère en Espagne et c’est pourquoi c’est assez frustrant et assez dur. Mais chaque pays et culture a besoin de son propre processus et nous ne pouvons pas venir (d’Occident NDLR) implanter nos idées, mais simplement écouter, étudier et découvrir comment vivent les femmes d’autres cultures et d’autres pays.

Avais-tu des préjugés sur la situation des femmes dans un pays avant votre départ, mais cela s’est avéré inexact ?

Oui, par exemple, j’avais des préjugés sur l’Iran, où il y a beaucoup de désinformation. Les médias parlent de l’Iran comme un pays islamique, ce qui est vrai, mais aussi que c’est un pay terroriste où les femmes sont soumise. C’était un préjugé car bien que que l’Iran ait un gouvernement islamique pratiquant la charia, et que les femmes vivent dans des situations très inégales, ce qui est très grave, la société transgresse les lois et il y a des femmes en Iran avec un esprit très ouvert qui veulent changer. Elles sont très combattantes et revendicatives. C’est l’exemple le plus significatif d’un préjugé que j’avais auparavant.

Selon toi, comment pouvons-nous donner aux femmes la place qu’elles méritent dans la société?

Pour commencer, les femmes doivent se reconnaître en tant que féministes et faire un travail d’introspection et de déconstruction. Nous sommes machistes parce que la culture elle-même est machiste. Il est parfois difficile de réaliser qu’une situation est machiste car beaucoup ont été normalisées. Et puis dire non, ce n’est pas normal ! Ce n’est pas normal que j’accepte le fait qu’ils me harcèlent dans la rue, que je gagne moins au travail, que mon partenaire ou mon mari ne nettoie pas les toilettes à la maison. Dans la société masculine, il y a aussi beaucoup de changements à faire. D’abord, ils doivent écouter plus les femmes et ils doivent accepter le fait qu’ils vivent avec des privilèges. Je sais qu’il est difficile de réaliser que les femmes sont dans une situation inégale car les hommes ne souffrent pas du machisme. Parce que c’est les hommes sont du côté du « pouvoir », c’est la partie oppressante. Le racisme est similaire au machisme, entre un blanc et un noir par exemple. Une personne « racialisée » comme une personne noire vit une série d’oppressions que nous, les blancs, ne pourrons jamais comprendre parce que nous ne sommes pas noirs. Donc, nous ne pouvons pas supposer que la personne noire est libre. Nous devrons écouter la personne noire pour savoir ce qu’elle ressent. C’est pareil ici, les hommes doivent écouter les femmes : leur cousine, leurs sœurs, leurs amies. Demandez-nous ce que vous pouvez faire. Entre hommes aussi : ne permettez pas et ne soutenez pas une blague sexiste avec un ami, ne partagez pas les images de femmes nues sans consentement. Par exemple: « regarde c’est la fille avec qui j’ai passé de la nuit dernière ». Ce n’est pas possible. Vous pouvez renoncer, empêcher ce genre de comportement.

Ces actions que tu proposes, sont-elles différentes entre pays « développés » et « en développement » ?

Pour moi, le développement n’est pas un facteur contribuant au féminisme, mais la culture oui. Il y a des cultures et des religions très fortes, qui contribuent à un système patriarcal important. Par ailleurs, chaque culture a son rythme, mais les changements seront « révolutionnaires », sinon il n’y aura pas de changement. Le droit ne sera pas donné, nous devons nous battre pour l’obtenir. Dans aucune lutte, il ne sera obtenu pacifiquement ou parce que l’oppresseur en a décidé ainsi. Le combat se gagne par la lutte. Alors, l’Inde aura son propre processus, l’Iran aura son propre processus. Les femmes iraniennes seront les seules à décider de la manière dont elles peuvent changer leur situation. De même que les femmes espagnoles décident en ce moment comment elles pourraient créer une société plus égalitaire.

Il est possible que les femmes aient également un « rôle à jouer » dans la résolution du problème du changement climatique. Il y a un économiste français, Gaël Giraud, qui a déclaré :

J’espère qu’elles [les femmes] vont nous sauver car la plupart ont un rapport au monde beaucoup plus sain que beaucoup d’hommes. Reléguées depuis des centaines d’années dans des rôles subalternes et domestiques, elles ont déployé une sensibilité au soin des autres, aux plus vulnérables. J’espère que la prise de pouvoir social progressive des femmes va nous permettre d’éviter de faire d’énormes bêtises.

Gael Giraud

Que penses-tu de cette citation ?

Je pense que cela peut être mal interprété. Les femmes ont appris à être des mères affectueuses, bienveillantes et aimables. Mais ce sont des rôles que la société nous a dictées. Les hommes, eux, ont appris à être forts, courageux, à combattre, à ne pas montrer leurs sentiments. Ensuite, bien sûr, il est plus facile pour les femmes de prendre soin des autres. C’est pourquoi nous (les femmes NDLR) pouvons ressentir plus de sympathie envers les animaux ou la nature. L’écoféminisme défend le fait que le soin donné à la nature est un investissement dont on récolte les fruits. Les hommes doivent évoluer dans ces croyance de la vie que ce système capitaliste nous imposent. Nous devons prendre soin de nous-mêmes et de ceux qui nous entourent. Nous devons prendre soin de la nature, nous devons nous occuper des animaux, nous devons être gentils. Nous ne pouvons pas détruire pour notre avantage. Donc, c’est un peu que l’idée qu’il ne suffit pas de construire des choses uniquement pour notre propre intérêt. C’est l’idée d’une vie en communauté. C’est pourquoi les femmes ont plus de facilité à comprendre ces choses. Parce que nous croyons que la nature fait partie de nous et que nous devons en prendre soin. C’est valide pour les hommes aussi, même s’ils n’ont pas appris à « prendre soin des autres ». Les hommes peuvent le faire. Les hommes doivent évoluer dans cette direction, parce que sinon, il y aura toujours des inégalités.

Pour conclure, le vélo est-il un bon moyen d’émancipation pour les femmes?

Le vélo c’est pour moi la métaphore la plus exacte de la libération des femmes. Parce que vous conduisez, vous prenez le contrôle de votre vie métaphoriquement. La vie ne nous a appris que nous ne pouvons pas prendre le contrôle, que c’est l’homme qui a le contrôle : de la vie, du travail, de la maison. Nous sommes en parti dépendante parce que nous ne savons pas comment entreprendre. Mais en vélo vous pouvez rouler à votre guise, tourner à droite. Si vous voulez freiner, vous freinez. Donc, le vélo donne une grande liberté. De plus, nous sommes en sécurité. Je pense que si vous voulez échapper à une situation indésirable, le faire à pied serait très lent, partir en voiture peut être difficile, prendre un bus remplit d’hommes peut s’avérer dangereux. Alors que en vélo, vous pouvez quitter cet endroit facilement. C’est une façon de prendre soin de la nature aussi, c’est une façon de s’opposer au système consumériste et capitaliste. Vous ne dépensez pas, vous ne détruisez rien. Je crois que la bicyclette permet d’en finir avec le système dans lequel nous sommes habitués à vivre. Donc bien sûr, le vélo aide. Par exemple dans les pays, comme l’Inde, le Népal, où les ressources économiques sont moins importantes, le vélo aide les femmes à se rendre sur leur lieu de travail. Aussi, cet outil leur permet de ne pas dépendre de leurs maris, à qui le véhicule familial appartient en général. Ensuite, avec le vélo, elles peuvent être libres de se déplacer. Alors bien sûr, le vélo aide beaucoup à l’émancipation et à l’autonomisation des femmes.

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